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Lotissement : la prescription trentenaire s’applique à la rétrocession forcée (par le maire) des voies de desserte interne !

Arrêt rendu par Cour de cassation, 3e civ.
11-01-2023
n° 21-20.388
Texte intégral :
ARRET DE LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023

La commune de [Localité 2], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 21-20.388 contre l’arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d’appel de Pau (1re chambre), dans le litige l’opposant à l’association syndicale libre du [Adresse 4], dont le siège est [Adresse 1], représentée par l’agence Foncia Bolling Gomez, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la commune de [Localité 2], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de l’association syndicale libre du [Adresse 4], et l’avis de M. Brun, avocat général, après débats en l’audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents

Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, Mme Farrenq-Nési, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Pau, 8 juin 2021), l’association syndicale libre du [Adresse 4] (l’ASL), constituée en 1990, réunit les propriétaires de ce lotissement situé sur le territoire de la commune de [Localité 2] (la commune).

2. Par délibération du 14 septembre 2004, le conseil municipal, après enquête publique autorisée par délibération du 20 mai 2003, s’est prononcé sur la demande tendant à « autoriser le maire à transférer la voie et les réseaux au sein du domaine public communal » et a autorisé à l’unanimité ce transfert.

3. Cette décision n’ayant pas été suivie d’effet, le 23 février 2016, l’ASL a assigné la commune afin de faire dire que la voirie et les réseaux du lotissement étaient devenus la propriété de celle-ci depuis la délibération du 14 septembre 2004 et d’ordonner la publication du transfert de propriété au fichier immobilier.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son premier moyen, la commune fait grief à l’arrêt de constater le transfert de propriété de la voirie et des réseaux du lotissement suivant les désignations et références cadastrales contenues à l’enquête publique, alors :

« 1°/ que la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public ; qu’en retenant sa compétence, après avoir relevé que l’objet du litige consistait à déterminer si la délibération du conseil municipal de la commune de [Localité 2] en date du 14 septembre 2004 avait emporté transfert de propriété de la voirie et des réseaux au profit de la commune, ce dont il résultait que le litige soulevait la question de l’appartenance au domaine public des voies et réseaux concernés, qu’il appartenait au seul juge administratif de trancher, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des dispositions des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, ainsi que du décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que, lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente et sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle ; qu’en jugeant que la propriété des voies et réseaux du [Adresse 4] avait été transférée à la commune de [Localité 2], et en s’abstenant de transmettre au juge administratif la question de leur appartenance au domaine public de la commune, qui présentait une difficulté sérieuse, la cour d’appel a violé les dispositions du second alinéa de l’article 49 du code de procédure civile, ensemble celles des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, et du décret du 16 fructidor an III. »

5. Par son quatrième moyen, la commune fait grief à l’arrêt d’ordonner la publication du transfert de propriété au fichier immobilier, alors « qu’en matière de propriété, seules les décisions ayant pour effet l’extinction d’un droit de propriété privée sont réservées par nature à la compétence de l’autorité judiciaire et, qu’en l’absence de voie de fait, il n’appartient pas au juge judiciaire d’adresser des injonctions à l’administration ; qu’en estimant néanmoins que le seul fait que le litige concernait la propriété l’autorisait à enjoindre à la commune de [Localité 2] de publier la décision à intervenir au fichier immobilier, la cour d’appel a violé les dispositions des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, ainsi que du décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

6. L’article 74 du code de procédure civile dispose que les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir et qu’il en est ainsi alors même

Pourvoi N°21-20.388-Troisième chambre civile 11 janvier 2023 que les règles invoquées au soutien de l’exception sont d’ordre public.

7. Le moyen tiré de l’incompétence de la juridiction judiciaire pour se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public est présenté pour la première fois devant la Cour de cassation.

8. Il est, dès lors, irrecevable.

9. En outre, si la commune a fait valoir dans ses conclusions d’appel que l’injonction tendant à la publication du transfert de propriété au fichier immobilier n’était pas au nombre de celles que le juge judiciaire pouvait ordonner à une personne morale de droit public, elle a soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action avant cette exception d’incompétence.

10. Le moyen tiré de l’incompétence de la juridiction judiciaire pour enjoindre à la commune de publier le transfert de propriété au service de la publicité foncière est, dès lors, irrecevable.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La commune fait grief à l’arrêt de déclarer recevable comme non prescrite l’action de l’ASL, alors « que seule l’action ayant pour objet la reconnaissance d’un droit réel immobilier est susceptible d’être regardée comme une action réelle immobilière au sens de l’article 2227 du code civil ; que pour faire application de la prescription trentenaire prévue à cet article, la cour d’appel s’est fondée sur la seule circonstance selon laquelle l’action de l’ASL du [Adresse 4] portait sur un transfert de propriété, sans rechercher si l’exercice par l’ASL de son droit de propriété était en cause ; qu’en s’appuyant ainsi sur une circonstance inopérante, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 2224 et 2227 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Ayant retenu, à bon droit, que l’action de l’ASL tendant à voir dire que la voirie et les réseaux du [Adresse 4] étaient la propriété de la commune après que leur cession forcée eut été réalisée par la délibération du 14 septembre 2004 était une action réelle immobilière, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle était soumise à la prescription trentenaire de l’article 2227 du code civil.

14. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. La commune fait grief à l’arrêt de constater le transfert de propriété de la voirie et des réseaux du lotissement suivant les désignations et références cadastrales contenues à l’enquête publique, alors :

« 1°/ que, dans sa rédaction applicable au litige, l’article L. 141-3 du code de la voirie routière prévoyait que le classement et le déclassement des voies communales prononcées par délibération du conseil municipal intervenait après enquête publique, sauf dans les cas mentionnés aux articles L. 123-2 et L. 123-3 du code de la voirie routière, à l’article 6 du code rural et à l’article L. 318-1 du code de l’urbanisme ; qu’en statuant au regard des dispositions postérieures dispensant la réalisation d’une enquête publique, la cour d’appel a violé l’article L. 141-3 du code de la voirie routière par méconnaissance de son champ d’application ;

2°/ que, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, l’article R. 318-10 du code de l’urbanisme disposait que

Pourvoi n° 21-20.388-Troisième chambre civile 11 janvier 2023 l’enquête prévue à l’article L. 318-3 en vue du transfert dans le domaine public communal de voies privées ouvertes à la circulation publique dans un ensemble d’habitation a lieu conformément aux dispositions des articles R. 11-4, R. 11-5, R. 11-8, R. 11-9, R. 11-10 et R. 11-13 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ; qu’en s’appuyant sur une version postérieure de l’article R. 318-10 du code de l’urbanisme renvoyant aux dispositions du code de la voirie routière, pour en déduire qu’à la suite d’une enquête diligentée en application de ce code, le transfert de propriété de l’assiette de la voirie et des réseaux pouvait bien faire l’objet d’un transfert sur le fondement de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, la cour d’appel, qui s’est fondée sur des dispositions inapplicables au litige, a violé les dispositions des articles L. 318-3 et R. 318-10 du code de l’urbanisme ;

3°/ que la cour d’appel a relevé que l’objet du litige consistait à déterminer si la délibération du conseil municipal de la commune de [Localité 2] en date du 14 septembre 2004 avait emporté transfert de propriété de la voirie et des réseaux du [Adresse 4] au profit de la commune ; qu’en partant du postulat qu’un transfert de propriété avait eu lieu pour en déduire que la base légale de la délibération ne pouvait qu’être l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, dispositions seules susceptibles d’opérer un transfert de propriété, la cour d’appel de Pau a méconnu les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°/ que le transfert de voies privées dans le domaine public communal peut résulter d’une cession amiable ou d’une expropriation accompagnée d’une décision de classement sur le fondement de l’article L. 141-3 du code de la voirie routière ; qu’en déduisant de la propriété privée des voies en cause l’inapplicabilité de l’article L. 141-3 du code de la voirie routière, la cour d’appel de Pau en a violé les dispositions ;

5°/ que la décision de classement d’une voie dans le domaine public communal sur le fondement de l’article L. 141-3 du code de la voirie routière, n’a en elle-même aucun effet translatif de propriété ; que la commune de [Localité 2] faisait valoir à cet égard que l’ASL du [Adresse 4] avait mandaté un notaire en vue de la cession gratuite de la voirie du lotissement à la commune et de la signature d’un acte authentique procédant au transfert de propriété, qui n’a finalement jamais eu lieu ; qu’en l’absence d’un tel acte, la propriété des voies ne pouvait être regardée comme ayant été transférée ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que la décision de classement d’une voie dans le domaine public communal sur le fondement de l’article L. 141- 3 du code de la voirie routière, n’a en elle-même aucun effet translatif de propriété ; que l’absence de signature d’un acte authentique procédant au transfert préalablement ou parallèlement à la décision de classement a pour seule conséquence de priver de portée cette dernière ; qu’en se fondant sur l’absence de transfert préalable de propriété pour considérer que la délibération du 14 septembre 2004 avait nécessairement pour fondement légal l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, en dépit de tout visa de ce texte, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à écarter l’application de l’article L. 141-3 du code de la voirie routière, en violation des dispositions de cet article. »

Réponse de la Cour

16. Selon l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : « La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d’habitations peut, après enquête publique, être transférée d’office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées.

La décision de l’autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés.

Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l’Etat dans le département, à la demande de la commune […] ».

17. L’article L. 141-3 du code de la voirie routière, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que le classement

Pourvoi n° 21-20.388-Troisième chambre civile 11 janvier 2023 et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal dont les délibérations interviennent après enquête publique, sauf dans les cas qu’il énonce.

18. La cour d’appel a exactement retenu que l’application des dispositions de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, qui prévoient un transfert de propriété entre les particuliers et la commune, suppose que les voies en cause appartenaient préalablement à des personnes privées, alors que l’application des dispositions de l’article L. 141-3 du code de la voirie routière, qui emporte classement ou déclassement des voies communales dans le domaine public, suppose l’existence d’une voie appartenant d’ores et déjà à la commune, une voie propriété privée ne pouvant pas être classée dans le domaine public sans un transfert préalable de la propriété, de sorte que seules les dispositions du premier de ces textes sont susceptibles d’opérer un transfert de propriété.

19. Elle a constaté qu’avant la délibération du 14 septembre 2004, il était constant que la voirie et le réseau du lotissement appartenaient à l’ASL et ne constituaient pas une voie communale, à classer ou déclasser.

20. Ayant relevé que la délibération du 20 mai 2003 autorisant l’enquête publique mentionnait « le transfert » de la voirie et des réseaux dans le domaine public, sans que le visa des dispositions des articles L. 41-3 et R. 41-4 du code de la voirie routière ne modifiât la nature de l’opération projetée, et que les termes de la délibération votée le 14 septembre 2004 consistaient à « transférer la voie et les réseaux au sein du domaine public communal », la cour d’appel a pu en déduire, sans modifier l’objet du litige et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les deux premières branches, que la délibération avait pour objet le transfert de propriété des voies et réseaux du lotissement entre l’ASL, personne morale de droit privé, et la commune.

21. Ayant ainsi constaté que le transfert de propriété avait été voté, après enquête publique et sans opposition de l’ASL ou des propriétaires intéressés, par une délibération du conseil municipal qui présentait un caractère exécutoire, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que ce transfert était acquis en application de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme.

22. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la commune de [Localité 2] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la commune de [Localité 2] et la condamne à payer à l’association syndicale libre du [Adresse 4] la somme de 3 000 € ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Maunand, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.

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