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Loi Montagne : les zones de montagne énumérées par l’arrêté interministériel sont-elles les seules concernées ?

Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 22/07/2020, 428023

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 428023, l’association Sauvegarde des Boutets a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler l’arrêté du 3 février 2014 par lequel le maire de Muret-le-Château (Aveyron) a délivré à M. D… et Mme E… un permis de construire en vue de l’édification d’une maison d’habitation.

Par un jugement n° 1401635 du 6 avril 2016, le tribunal administratif a annulé ce permis de construire.

Par un arrêt n° 16BX01835 du 14 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la commune de Muret-le-Château, annulé ce jugement et rejeté la demande de l’association Sauvegarde des Boutets devant le tribunal administratif de Toulouse.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 février et 14 mai 2019 et le 24 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Sauvegarde des Boutets demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la commune de Muret-le-Château ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Muret-le-Château la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

2° Sous le n° 428024, l’association Sauvegarde des Boutets a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler le certificat d’urbanisme du 16 décembre 2013 délivré à Mme A… par lequel le maire de Muret-le-Château a indiqué que la parcelle cadastrée section I n° 73 pouvait être utilisée en vue de la construction de maisons d’habitation.

Par un jugement n° 1400747 du 6 avril 2016, le tribunal administratif a annulé ce certificat d’urbanisme.

Par un arrêt n° 16BX01831 du 14 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la commune de Muret-le-Château, annulé ce jugement et rejeté la demande de l’association Sauvegarde des Boutets devant le tribunal administratif de Toulouse.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 février et 14 mai 2019 et le 24 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Sauvegarde des Boutets demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la commune de Muret-le-Château ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Muret-le-Château la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 ;
– le décret n°77-566 du 3 juin 1977 ;
– l’arrêté interministériel du 6 septembre 1985 délimitant la zone de montagne en France métropolitaine ;
– l’arrêté du 19 janvier 1990 portant classement de communes en zone défavorisées ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

 

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme B… H…, auditrice,

– les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de l’association Sauvegarde des Boutets et au cabinet Munier-Apaire, avocat de la commune de Muret-le-Château ;

 

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

En ce qui concerne les moyens communs aux deux pourvois :

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige :  » III. – L’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs et villages existants, sauf si le respect des dispositions prévues aux I et II ci-dessus ou la protection contre les risques naturels imposent la délimitation de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement « . Ces dispositions sont applicables, en vertu de l’article L. 145-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige,  » dans les zones de montagne définies aux articles 3 et 4 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 « . L’article 3 de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne dispose que  » Les zones de montagne se caractérisent par des handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l’exercice de certaines activités économiques. […] Chaque zone de montagne est délimitée par arrêté interministériel et rattachée par décret à l’un des massifs visés à l’article 5 « . En application de ces dispositions, l’arrêté interministériel du 6 septembre 1985 délimite la zone de montagne en France métropolitaine en se référant aux huit arrêtés des 20 février 1974, 28 avril 1976, 18 janvier 1977, 13 novembre 1978, 29 janvier 1982, 20 septembre 1983, 14 décembre 1984 et 25 juillet 1985.

3. Par ailleurs, les articles D. 113-13 à D. 113-17 du code rural et de la pêche maritime, issus du décret du 3 juin 1977 sur l’agriculture de montagne et de certaines zones défavorisées, définissent les critères de délimitation des zones agricoles défavorisées en montagne. L’article D. 113-17 de ce code précise que :  » Les délimitations prévues aux articles D. 113-14 à D. 113-16 sont effectuées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de l’économie et des finances.  »

4. Il résulte de ces différentes dispositions que les arrêtés délimitant les zones de montagne pour l’application des dispositions de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme sont visés, de façon limitative, par l’arrêté interministériel du 6 septembre 1985 et que les arrêtés pris en application des dispositions de l’article D. 113-17 du code rural et de la pêche maritime ou du seul décret du 3 juin 1977 délimitent, à d’autres fins, les zones agricoles défavorisées en montagne.

5. Il ressort des pièces des dossiers que la cour administrative d’appel de Bordeaux, pour juger que les dispositions du III de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme n’étaient pas applicables aux litiges dont elle était saisie, s’est fondée sur ce que l’arrêté conjoint du ministre de l’agriculture et du ministre du budget du 19 janvier 1990 portant classement de communes en zones agricoles défavorisées inclut seulement pour partie la commune de Muret-le-Château en zone défavorisée de montagne, excluant le secteur dans lequel se trouvent les terrains concernés par les arrêtés litigieux. Toutefois, cet arrêté, pris en application du décret du 3 juin 1977 sur l’agriculture de montagne et de certaines zones défavorisées, à présent codifié aux articles D. 113-13 et suivants du code rural et de la pêche maritime, n’est pas visé par l’arrêté interministériel du 6 septembre 1985 et a pour seul objet de définir des zones agricoles éligibles à des aides compensatoires en raison d’un handicap naturel. En conséquence, il ne définit pas les zones de montagne au sens de la loi du 9 janvier 1985 et n’est pas applicable au litige.

6. Il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Bordeaux, en se fondant sur cet arrêté du 19 janvier 1990 pour écarter les dispositions du III de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme, applicables dans les zones de montagne, a commis une erreur de droit. Toutefois, il résulte des annexes des arrêtés visés par l’arrêté du 6 septembre 1985, délimitant les zones de montagne, que la commune de Muret-le-Château n’est pas au nombre des communes visées par ces arrêtés, relevant des zones de montagne pour l’application du code de l’urbanisme. En conséquence, les dispositions du III de l’article 145-3 du code de l’urbanisme ne sont pas applicables aux litiges. Ce motif, qui est d’ordre public et dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné retenu par les arrêts attaqués, dont il justifie le dispositif.

7. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 122-2 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat :  » Dans les communes qui sont situées à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 50 000 habitants au sens du recensement général de la population, ou à moins de quinze kilomètres du rivage de la mer, et qui ne sont pas couvertes par un schéma de cohérence territoriale applicable, le plan local d’urbanisme ne peut être modifié ou révisé en vue d’ouvrir à l’urbanisation une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou une zone naturelle « . Aux termes de ce même article, dans sa rédaction issue de l’article 17 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement :  » Dans les conditions précisées au présent article, dans les communes qui ne sont pas couvertes par un schéma de cohérence territoriale applicable, le plan local d’urbanisme ne peut être modifié ou révisé en vue d’ouvrir à l’urbanisation une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou une zone naturelle. / Jusqu’au 31 décembre 2012, le premier alinéa s’applique dans les communes situées à moins de quinze kilomètres du rivage de la mer ou à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 50 000 habitants au sens du recensement général de la population. A compter du 1er janvier 2013 et jusqu’au 31 décembre 2016, il s’applique dans les communes situées à moins de quinze kilomètres du rivage de la mer ou à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 15 000 habitants au sens du recensement général de la population. A compter du 1er janvier 2017, il s’applique dans toutes les communes.  » Il résulte de ces dispositions que, jusqu’au 31 décembre 2012, la règle de l’urbanisation limitée posée par ces dispositions était applicable dans les communes situées en tout ou partie à l’intérieur d’une agglomération de plus de 50 000 habitants, au sens du recensement général de la population, et dans une bande de 15 kilomètres par rapport à la périphérie de celle-ci.

8. Sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme, et à la condition de faire en outre valoir que ce permis méconnaît les dispositions d’urbanisme pertinentes remises en vigueur par l’effet de la déclaration d’illégalité, il peut être utilement soutenu devant le juge administratif qu’un permis de construire a été délivré sous l’empire d’un document d’urbanisme illégal. Cette règle s’applique que le document ait été illégal dès l’origine ou que son illégalité résulte de circonstances de fait ou de droit postérieures.

9. En l’espèce, il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que les requérants avaient invoqué devant la cour, par la voie de l’exception, un moyen tiré de ce que le plan local d’urbanisme de la commune approuvé le 26 novembre 2004 était dès l’origine illégal en ce qu’il classait en zone UB les parcelles des projets litigieux, auparavant classées en zone NB du plan d’occupation des sols. La cour, pour écarter ce moyen, s’est fondée sur les dispositions de l’article L. 122-2 du code de l’urbanisme qu’elle a citées dans leur rédaction issue de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, alors que, le plan local d’urbanisme ayant été approuvé par une délibération du 26 novembre 2004, il lui incombait de vérifier si, à cette date, l’ouverture à l’urbanisation de ces parcelles ne méconnaissait pas les dispositions alors applicables. Par suite, la cour a méconnu le champ d’application de la loi dans le temps et commis une erreur de droit.

10. Toutefois, il y a lieu de se référer, pour déterminer si une commune est située  » à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 50 000 habitants au sens du recensement général de la population « , à la notion d’unité urbaine retenue par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Or, il est constant que la commune de Muret-le-Château ne se situait pas, à la date de l’approbation du plan local d’urbanisme, à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 50 000 habitants, au sens du recensement général de la population. Ce motif, qui repose sur le constat de faits constants n’appelant aucune appréciation, doit être substitué au motif erroné retenu par l’arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif.

11. En troisième lieu, les conclusions émises par le commissaire-enquêteur à l’issue de l’enquête publique doivent être motivées en vertu de l’article 20 du décret du 23 avril 1985 pris pour l’application de la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement, alors applicable. Ces règles imposent au commissaire enquêteur d’indiquer au moins sommairement, en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de cet avis, mais ne l’obligent pas à répondre à chacune des observations présentées lors de l’enquête et ses réponses peuvent revêtir une forme synthétique. La cour a jugé, en l’espèce, que le commissaire-enquêteur avait, en octobre 2004, donné un avis favorable au projet, assorti de deux recommandations et avait suffisamment indiqué les raisons déterminant le sens de son avis. En statuant ainsi, la cour a suffisamment motivé son arrêt et s’est livrée à une appréciation souveraine des faits, exempte de dénaturation.

En ce qui concerne le moyen propre au pourvoi n° 428023 :

12. D’une part, si l’association requérante a soutenu en première instance que le permis de construire contesté était illégal au motif qu’elle avait déposé une demande d’annulation de la déclaration préalable autorisant la division de la parcelle en cause, ce moyen était inopérant et la cour, saisi de celui-ci dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, n’était pas tenue d’y répondre.

13. D’autre part, l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable dispose que :  » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales.  » L’article UB 11 du règlement du PLU fixe les prescriptions spéciales dans lesquelles doivent s’insérer les constructions nouvelles dans leur environnement naturel et urbain. Ces dispositions ont le même objet que celles de l’article R. 111-21 et posent des exigences qui ne sont pas moindres. Dès lors, c’est en principe par rapport aux dispositions du règlement du plan local d’urbanisme que doit être apprécié la légalité de la décision. Il s’ensuit que la cour n’était pas tenue, à peine d’irrégularité de son arrêt, de se prononcer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme.

En ce qui concerne le moyen propre au pourvoi n° 428024 :

14. Les dispositions de l’article R. 410-1 du code de l’urbanisme prévoient, dans leur rédaction applicable au litige, que la demande de certificat d’urbanisme est accompagnée d’une note descriptive succincte de l’opération indiquant, lorsque le projet concerne un ou plusieurs bâtiments, leur destination et leur localisation approximative dans l’unité foncière. Toutefois, la circonstance que les documents produits à l’appui d’un dossier de demande de certificat d’urbanisme seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le certificat d’urbanisme qui a été accordé que dans le cas où ces omissions, inexactitudes ou insuffisances ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. En l’espèce, s’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la note descriptive succincte du projet n’indiquait pas la localisation approximative des bâtiments qu’il était projeté de construire sur la parcelle concernée, il en ressort également que, si un projet de construction sur la parcelle voisine faisait l’objet d’une demande de permis de construire, aucune construction ne se situait alors à proximité du terrain d’assiette. Dès lors la cour a pu, sans dénaturation ni erreur de droit, juger que cette omission dans la notice descriptive du projet n’avait pas eu d’incidence sur l’appréciation portée par l’autorité administrative et écarter ainsi le moyen tiré du caractère incomplet du dossier joint à la demande de certificat d’urbanisme.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les pourvois de l’association requérante doivent être rejetés.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Muret-le-Château qui n’est pas, pour les présentes instances, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association Sauvegarde des Boutets, dans chaque affaire, la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Muret-le-Château au titre de ces dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de l’association Sauvegarde des Boutets sont rejetés.
Article 2 : L’association Sauvegarde des Boutets versera à la commune de Muret-le-Château, dans chaque affaire, la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association Sauvegarde des Boutets et à la commune de Muret-le-Château.
Copie en sera adressée à M. F… D…, à Mme G… E… et à Mme C… A….

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