1° Sous le numéro 432682, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juillet et 16 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’office public de l’habitat (OPH) Drôme aménagement habitat demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et du ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, du 16 mai 2019 prononçant à son encontre une sanction pécuniaire d’un montant de 42 300 € ;
2°) subsidiairement, de ramener cette sanction à un montant de 9 815,84 € ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 436311, par une ordonnance n° 1920761 du 22 novembre 2019, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 28 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 341-2 du code de justice administrative, la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 11 septembre 2019 et transmise par ce tribunal au tribunal administratif de Paris. Par cette requête et par un nouveau mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 13 mars 2020, l’OPH Drôme aménagement habitat demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le titre de recettes d’un montant de 42 300 € émis à son encontre par la Caisse de garantie du logement locatif social et le rejet de son recours gracieux contre ce titre ;
2°) d’annuler les éventuelles majorations de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l’OPH Drôme aménagement habitat.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l’instruction qu’à la suite d’un contrôle de l’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) portant sur l’activité de l’office public de l’habitat (OPH) Drôme aménagement habitat sur les années 2012 à 2016, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, ont, par une décision du 16 mai 2019, infligé à cet office une sanction pécuniaire de 42 300 € à verser à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Par deux requêtes qu’il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l’OPH Drôme habitat demande l’annulation de cette sanction ainsi que, d’une part, celle du titre exécutoire émis par la CGLLS pour en recouvrer le montant et, d’autre part, celle du rejet de son recours gracieux contre ce titre exécutoire,
Sur la régularité de la sanction attaquée :
2. Aux termes de l’article L. 342-12 du code de la construction et de l’habitation, relatif aux suites que l’ANCOLS est susceptible de donner à ses opérations de contrôle des organismes de logement social : « En cas de manquements aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, d’irrégularité dans l’emploi des fonds de la participation à l’effort de construction ou des subventions, prêts ou avantages consentis par l’Etat ou par ses établissements publics et par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics, de faute grave de gestion, de carence dans la réalisation de l’objet social ou de non-respect des conditions d’agrément constatés, l’agence demande à l’organisme ou la personne contrôlée de présenter ses observations et, le cas échéant, le met en demeure de procéder à la rectification des irrégularités dans un délai déterminé. » Aux termes de l’article L. 342-14 du même code : « I- Après que la personne ou l’organisme a été mis en mesure de présenter ses observations en application de l’article L. 342-12 ou, en cas de mise en demeure, à l’issue du délai mentionné à ce même article, l’agence peut proposer au ministre chargé du logement de prononcer les sanctions suivantes […] / II- Par dérogation au I, lorsque la sanction concerne un office public de l’habitat ou une société d’économie mixte, elle est prise conjointement par les ministres chargés du logement et des collectivités territoriales, dans les mêmes conditions. »
3. Le respect des droits de la défense, qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et qui est d’ailleurs repris à l’article L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration, implique que la personne concernée, après avoir été informée des griefs formulés à son encontre, dispose de la faculté de pouvoir présenter utilement ses observations avant que l’autorité qui exerce le pouvoir de sanction ne se prononce. Il résulte de ce principe, ainsi que des dispositions des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l’habitation citées ci-dessus, que l’ANCOLS ne peut régulièrement proposer au ministre chargé du logement et, le cas échéant, au ministre chargé des collectivités territoriales, de prononcer une sanction contre un organisme qu’elle a contrôlé qu’après que le conseil de surveillance, le conseil d’administration ou l’organe délibérant de cet organisme a été mis en mesure de présenter ses observations sur le rapport de contrôle établi par l’agence, en ayant été informé de ceux des constats du rapport pour lesquels l’agence envisage de proposer une sanction.
4. A cet effet, lorsqu’un organisme mentionné au II de l’article L. 342-2 du code de la construction et de l’habitation fait l’objet d’un contrôle par l’ANCOLS, les articles L. 342-9, R. 342-13 et R. 342-14 de ce code prévoient, d’une part que le rapport de contrôle provisoire établi par les services de l’agence est communiqué à l’organisme concerné, qui peut, dans le délai d’un mois, adresser des observations à l’ANCOLS ou demander à être entendu et, d’autre part, que le rapport définitif de contrôle établi au vu de ces éventuelles observations est communiqué à l’organisme, qui dispose d’un délai de quatre mois pour adresser de nouvelles observations. Toutefois, l’agence n’étant pas tenue, au titre de ces communications, d’indiquer à l’organisme contrôlé ceux des constats pour lesquels elle envisage, le cas échéant, de proposer aux ministres compétents de prononcer une sanction, il lui incombe dans un tel cas, pour assurer le respect des exigences rappelées au point précédent, d’assurer spécifiquement l’information de l’organisme sur ce point.
5. Cette dernière information peut notamment résulter de la transmission à l’organisme contrôlé, dans des conditions lui permettant d’y répondre utilement, de la décision par laquelle le comité du contrôle et des suites de l’ANCOLS, mentionné à l’article R. 342-6 du code de la construction et de l’habitation, après avoir été saisi du rapport définitif de contrôle, indique au conseil d’administration de l’agence ceux des griefs figurant dans ce rapport pour lesquels il lui demande de proposer aux ministres compétents de prononcer une sanction. Une telle transmission n’est toutefois de nature à assurer le respect, par l’agence, des droits de la défense, qu’à la condition que la proposition de sanction transmise aux ministres ne se fonde pas sur d’autres griefs que ceux retenus par le comité du contrôle et des suites.
6. Dans ces conditions, la communication préalable à l’organisme contrôlé, d’une part du rapport définitif de contrôle, dans les conditions prévues à l’article L. 342-9 du code de la construction et de l’habitation et, d’autre part, dans les conditions rappelées ci-dessus, de la décision prise au vu de ce rapport par le comité du contrôle et des suites de l’ANCOLS, est de nature à assurer le respect, par l’agence, des exigences rappelées au point 3, sans que, contrairement à ce que soutient l’OPH de la Drôme, l’agence soit, au surplus, tenue de communiquer à l’organisme la délibération par laquelle elle propose aux ministres compétents de prononcer une sanction.
7. Il résulte de l’instruction, d’une part, que, par un courrier du 19 mars 2018, l’ANCOLS a transmis à l’OPH Drôme aménagement habitat son rapport définitif de contrôle, qui faisait notamment apparaître plusieurs attributions de logements effectuées en méconnaissance des plafonds de ressources applicables, en l’informant qu’il disposait d’un délai de quatre mois pour adresser ses observations à l’agence. D’autre part, par une lettre du 13 septembre 2018 à laquelle était joint le détail de douze attributions de logement effectuées au profit de locataires dont les ressources dépassaient le plafond applicable, ainsi d’ailleurs que le montant de la sanction encourue, l’ANCOLS a informé l’office de ce que le comité de contrôle et des suites comptait soumettre au conseil d’administration un projet de délibération proposant aux ministres compétents, à raison de ces attributions irrégulières, une sanction pécuniaire à son encontre. L’office a répondu à cette lettre par un courrier du 12 octobre 2018.
8. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l’OPH Drôme aménagement habitat, qui ne saurait utilement invoquer les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lesquelles ne sont pas applicables à la procédure de sanction administrative prévue par l’article L. 342-14 du code de la construction et de l’habitation, n’est pas fondé à soutenir que la sanction litigieuse, qui se fonde sur onze des douze attributions mentionnées dans la lettre du 13 septembre 2018, a été prise selon une procédure qui méconnaît les droits de la défense et les dispositions des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l’habitation.
Sur le bien-fondé de la sanction attaquée :
9. D’une part, aux termes de l’article L. 441 du code de la construction et de l’habitation : « L’attribution des logements locatifs sociaux participe à la mise en oeuvre du droit au logement, afin de satisfaire les besoins des personnes de ressources modestes et des personnes défavorisées. / L’attribution des logements locatifs sociaux doit notamment prendre en compte la diversité de la demande constatée localement ; elle doit favoriser l’égalité des chances des demandeurs et la mixité sociale des villes et des quartiers, en permettant l’accès à l’ensemble des secteurs d’un territoire de toutes les catégories de publics éligibles au parc social, en facilitant l’accès des personnes handicapées à des logements adaptés et en favorisant l’accès des ménages dont les revenus sont les plus faibles aux secteurs situés en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. […]. » L’article L. 441-1 du même code prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat : « Détermine les conditions dans lesquelles les logements construits, améliorés ou acquis et améliorés avec le concours financier de l’Etat ou ouvrant droit à l’aide personnalisée au logement et appartenant aux organismes d’habitations à loyer modéré ou gérés par ceux-ci sont attribués par ces organismes. Pour l’attribution des logements, ce décret prévoit qu’il est tenu compte notamment du patrimoine, de la composition, du niveau de ressources et des conditions de logement actuelles du ménage, de l’éloignement des lieux de travail, de la mobilité géographique liée à l’emploi et de la proximité des équipements répondant aux besoins des demandeurs […]. » A ce titre, l’article R. 441-1 du même code dispose que : « Les organismes d’habitations à loyer modéré attribuent les logements visés à l’article L. 441-1 aux bénéficiaires suivants : / 1° Les personnes physiques séjournant régulièrement sur le territoire français […] dont les ressources n’excèdent pas des limites fixées […] par arrêté conjoint du ministre chargé du logement, du ministre chargé de l’économie et des finances et du ministre chargé de la santé […] » et les articles R. 441-1-1 et R. 441-1-2 prévoient les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à ces plafonds de revenus pour répondre à certains des objectifs mentionnés à l’article L. 441. Enfin, le III de l’article L. 441-2 dispose que la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements, notamment chargée, dans chaque organisme d’habitation à loyer modéré, d’attribuer nominativement chaque logement locatif « […] exerce sa mission d’attribution des logements locatifs dans le respect des article L. 441-1 et L. 441-2-3, en prenant en compte les objectifs fixés à l’article L. 441 […] ».
10. D’autre part, le I de l’article L. 342-14 du code de la construction et de l’habitation dispose que : « […] En cas de non-respect, pour un ou plusieurs logements, des règles d’attribution et d’affectation de logements prévues au présent code, sans préjudice de la restitution, le cas échéant, de l’aide publique, [la sanction] ne peut excéder dix-huit mois du loyer en principal du ou des logements concernés ; […] » et l’article L. 342-16 du même code dispose : « Les sanctions mentionnées au I de l’article L. 342-14 sont fixées en fonction de la gravité des faits reprochés, de la situation financière et de la taille de l’organisme […]. »
11. Il résulte de l’ensemble des dispositions citées aux points 9 et 10 que si toute attribution d’un logement locatif social à une personne dont les ressources excèdent le plafond applicable à ce logement constitue une méconnaissance, par la commission d’attribution de l’organisme d’habitation à loyer modéré, des règles d’attribution des logements sociaux de nature à justifier une sanction à l’encontre de cet organisme, la gravité de la faute ainsi commise doit néanmoins s’apprécier au regard, notamment, des objectifs fixés par les articles L. 441 et L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation. Par suite, lorsqu’une sanction pécuniaire est prononcée contre un organisme d’habitation à loyer modéré, sur le fondement du I de l’article L. 342-14 du même code, en raison de ce que des logements ont été attribués à des personnes dont les ressources dépassaient les plafonds applicables à ces logements, le montant de cette sanction pécuniaire doit être fixé en tenant compte, non seulement de l’ampleur des dépassements, mais aussi, notamment, de leur fréquence, des raisons pour lesquelles ils sont intervenus, des conséquences de ces attributions irrégulières sur les objectifs fixés par les articles L. 441 et L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, de la taille de l’organisme ou de sa situation financière et, le cas échéant, des mesures prises par l’organisme pour les faire cesser.
12. Il résulte de l’instruction que, pour fixer à 42 300 € le montant de la sanction pécuniaire infligée à l’OPH Drôme aménagement habitat, les ministres compétents se sont bornés à faire la somme de montants fixés, pour chaque logement irrégulièrement attribué, à neuf ou dix-huit mois de loyer, selon que le dépassement du plafond de ressources pour le logement en question se situait, respectivement, entre 10 % et 100 % de ce plafond, ou au-dessus de 100 % de ce plafond.
13. L’OPH Drôme aménagement habitat est, par suite, fondé à soutenir qu’en se fondant exclusivement sur l’ampleur des dépassements constatés dans l’attribution irrégulière de onze logements, sans tenir compte, ni de ce que les attributions irrégulières ne représentaient que 0,2 % des attributions effectuées au cours des cinq années couvertes par le contrôle, ni de ce que la moitié d’entre elles avaient permis, dans des contextes locaux de faible tension sur le marché du logement, l’attribution de logements sociaux, parfois situés dans des quartiers prioritaires, à des familles dont les ressources demeuraient très faibles, ni enfin de ce que le rapport définitif de l’ANCOLS relevait de manière générale la rigueur de l’instruction des dossiers et l’efficacité de la procédure d’attribution des logements, les ministres ont méconnu les principes mentionnés au point 10.
14. Il y a lieu, par suite, au regard de la gravité des faits reprochés telle qu’elle résulte de l’ensemble des considérations qui viennent d’être mentionnées et compte tenu de la situation financière et de la taille de l’organisme, de ramener de 42 300 € à 20 000 € le montant de la sanction pécuniaire infligée à l’OPH Drôme aménagement habitat, ainsi que d’annuler, par voie de conséquence, le titre exécutoire émis pour son recouvrement par la Caisse de garantie du logement locatif social, ainsi que le rejet du recours gracieux de l’office contre ce même titre.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 € à verser à l’OPH Drôme aménagement habitat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Décide :
Article 1er : Le montant de la sanction prononcée le 16 mai 2019 à l’encontre de l’office public de l’habitat Drôme aménagement habitat est ramené à 20 000 €.
Article 2 : Le titre de recettes n° 2019000064 émis par la Caisse de garantie du logement locatif social et la décision de rejet du recours gracieux de l’office public de l’habitat aux fins d’annulation du titre sont annulées.
Article 3 : L’Etat versera à l’office public de l’habitat Drôme aménagement habitat la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l’office public de l’habitat Drôme aménagement habitat est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’office public de l’habitat Drôme aménagement habitat, à la ministre de la transition écologique, à la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement et à la Caisse de garantie du logement locatif social.
Copie en sera adressée à l’Agence nationale de contrôle du logement social.