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Environnement : le préjudice écologique est constitutionnel !

Décision rendue par Conseil constitutionnel
05-02-2021
n° 2020-881-QPC

Texte intégral :
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 novembre 2020 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2667 du 10 novembre 2020), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations Réseau sortir du nucléaire et autres par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-881 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 1247 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code civil ;

– la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour les associations requérantes par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 9 décembre 2020 ;

– les observations présentées pour la société EDF, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;

– les observations en intervention présentées pour l’association Notre affaire à tous par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations en intervention présentées pour la même association par le même avocat, enregistrées le 22 décembre 2020 ;

– les secondes observations présentées pour les associations requérantes par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 23 décembre 2020 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Hélène Farge, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, pour les associations requérantes, Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, pour l’association intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 26 janvier 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

Le Conseil constitutionnel s’est fonde sur ce qui suit :

1. L’article 1247 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. »

2. Les associations requérantes reprochent à ces dispositions de ne prévoir aucune réparation des atteintes à l’environnement considérées comme négligeables. Il en résulterait, selon elles, une méconnaissance des articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement de 2004 ainsi que du principe de responsabilité résultant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elles font également valoir que, faute de définir ce que recouvre une atteinte non négligeable, ces dispositions méconnaîtraient le principe de clarté de la loi et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « non négligeable » figurant à l’article 1247 du code civil.

4. L’association intervenante soulève les mêmes griefs et soutient, en outre, que les dispositions contestées méconnaîtraient les articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement et l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.

5. En premier lieu, l’article 4 de la Charte de l’environnement prévoit : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi. » Il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en oeuvre de ces dispositions.

6. L’article 1246 du code civil prévoit que toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer. Les dispositions de l’article 1247 du même code définissent le préjudice écologique comme une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.

7. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 8 août 2016 dont sont issues ces dispositions que, en les adoptant, le législateur a entendu mettre en oeuvre l’article 4 de la Charte de l’environnement. A cette fin, il a prévu que, outre les dommages à l’environnement préjudiciant aux personnes physiques ou morales qui sont, de ce fait, réparés dans les conditions de droit commun, doivent également être réparés les dommages affectant exclusivement l’environnement. Selon l’article 1247 du code civil, ces dommages incluent les atteintes non seulement aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement mais également aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes.

8. En écartant de l’obligation de réparation les atteintes à ces bénéfices, éléments ou fonctions, uniquement lorsqu’elles présentent un caractère négligeable, le législateur n’a pas méconnu le principe selon lequel toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 4 de la Charte de l’environnement doit être écarté.

9. En second lieu, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter la réparation qui peut être accordée aux personnes qui subissent un préjudice du fait d’une atteinte à l’environnement. Par conséquent, elles ne méconnaissent pas le principe, résultant de l’article 4 de la Déclaration de 1789, selon lequel tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « non négligeable » figurant à l’article 1247 du code civil, qui ne méconnaissent ni les articles 1er, 2 et 3 de la Charte de l’environnement ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel décide :

Article 1er : Les mots « non négligeable » figurant à l’article 1247 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, sont conformes à la Constitution.

Article 2 : Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 février 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPE, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 5 février 2021.

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