Conseil d’État
N° 408123
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats
lecture du mercredi 13 mars 2019
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A…C…a demandé au tribunal administratif de Lille, d’une part, de condamner l’Etat à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa carence à faire exécuter le jugement du tribunal correctionnel de Lille du 9 décembre 2004 ordonnant la destruction de l’extension d’une construction édifiée sans permis de construire par son voisin, d’autre part, d’enjoindre au maire de Seclin d’assurer l’exécution de ce jugement. Par un jugement n° 1300128 du 13 juillet 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15DA01525 du 14 octobre 2016, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par M. C…contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 février et 16 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. C…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la SCP Rousseau-Tapie, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des procédures civiles d’exécution ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. C…et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Seclin.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’au début des années 2000, M. B…a procédé sans permis de construire à une extension de l’habitation dont il était propriétaire. Ces travaux irréguliers, portant sur une vingtaine de mètres carrés, concernaient notamment l’édification d’une terrasse. L’intéressé a été condamné par un jugement du 9 décembre 2004 du tribunal correctionnel de Lille à une amende et à la démolition de l’extension irrégulièrement construite. La maison d’habitation de M. B…a fait l’objet en 2003 d’une vente judiciaire par adjudication au profit d’une autre personne, qui n’a ni procédé à la démolition de l’extension, ni entrepris de régulariser les travaux. M.C…, voisin de la construction litigieuse, qui est située en surplomb de son habitation, a demandé en vain au maire de Seclin et au préfet du Nord que l’administration procède à la démolition de l’extension irrégulière, en application de l’article L. 480-9 du code de l’urbanisme. Il a alors demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l’Etat, sur le terrain tant de la responsabilité pour faute que de la responsabilité sans faute, à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de sa carence à faire exécuter le jugement du tribunal correctionnel de Lille. Par un jugement du 13 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par un arrêt du 14 octobre 2016, contre lequel M. C…se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement.
2. Aux termes de l’article L. 480-5 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable : » En cas de condamnation d’une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L. 160-1 et L. 480-4, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l’absence d’avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l’autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur. / (…) « . Aux termes de l’article L. 480-7 du même code : » Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation (…) « . Par ailleurs, aux termes de l’article L. 480-9 du même code : » Si, à l’expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n’est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d’office à tous travaux nécessaires à l’exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol. / Au cas où les travaux porteraient atteinte à des droits acquis par des tiers sur les lieux ou ouvrages visés, le maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux mentionnés à l’alinéa précédent qu’après décision du tribunal de grande instance qui ordonnera, le cas échéant, l’expulsion de tous occupants. »
3. Il résulte de ces dispositions que, au terme du délai fixé par la décision du juge pénal prise en application de l’article L. 480-5 du code de l’urbanisme, il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 480-9 du code, de faire procéder d’office à tous travaux nécessaires à l’exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l’ordre ou de la sécurité publics justifient un refus. En outre, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme visant à régulariser les travaux dont la démolition, la mise en conformité ou la remise en état a été ordonnée par le juge pénal, l’autorité compétente n’est pas tenue de la rejeter et il lui appartient d’apprécier l’opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l’infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d’urbanisme applicables. Dans le cas où, sans motif légal, l’administration refuse de faire procéder d’office aux travaux nécessaires à l’exécution de la décision du juge pénal, sa responsabilité pour faute peut être poursuivie. En cas de refus légal, et donc en l’absence de toute faute de l’administration, la responsabilité sans faute de l’Etat peut être recherchée, sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d’un préjudice revêtant un caractère grave et spécial.
4. Pour rejeter la demande d’indemnisation d’un préjudice lié à la perte de valeur vénale du bien de M.C…, la cour a relevé, au terme d’une appréciation souveraine des pièces du dossier, exempte de dénaturation, que les estimations immobilières produites ne permettaient d’établir ni la réalité de la dépréciation alléguée, ni l’existence d’un lien de causalité avec les travaux irréguliers. En s’abstenant de diligenter sur ce point une mesure d’instruction, la cour n’a pas commis d’erreur de droit. Enfin, si le requérant soutient qu’elle aurait commis une erreur de droit en relevant qu’il n’avait fait état d’aucun projet de vente de sa propriété et qu’il ne pouvait ainsi obtenir une indemnisation d’un préjudice purement éventuel, cette critique est inopérante dès lors qu’elle vise un motif surabondant de l’arrêt attaqué.
5. Pour rejeter la demande d’indemnisation au titre de divers troubles de jouissance, notamment liés à une perte de vue et d’ensoleillement et à la chute de claustras, la cour a jugé qu’il résultait de l’instruction, notamment des documents photographiques produits, que certains de ces troubles ne présentaient aucun caractère de gravité et que d’autres étaient occasionnels et sans lien avec les travaux irréguliers. Contrairement à ce que soutient le requérant, en se prononçant ainsi, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation.
6. Pour rejeter la demande d’indemnisation du préjudice résultant d’infiltrations d’eaux dans la cuisine du requérant, dues à des malfaçons et aggravées par un défaut d’entretien, la cour a relevé qu’elles ne trouvaient pas de manière suffisamment directe et certaine leur cause dans la décision de l’administration et qu’elles ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant. En se prononçant ainsi, au vu notamment des rapports d’expertise établis à la demande de l’assureur du requérant et des résultats d’une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de grande instance de Lille, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, ni commis d’erreur de qualification juridique.
7. Enfin, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la cour ne s’est prononcé sur le caractère de gravité des préjudices que pour la perte de vue et d’ensoleillement et, à titre surabondant, pour les infiltrations d’eau. Dans ces conditions, le moyen tiré ce qu’elle aurait commis une erreur de droit en appréciant séparément et non globalement la gravité de ses préjudices ne peut qu’être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C…n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. Son pourvoi ne peut qu’être rejeté, y compris ses conclusions relatives aux frais de l’instance. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Seclin.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. C…est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Seclin présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A…C…, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la commune de Seclin.