Conseil d’État
N° 404655
Inédit au recueil Lebon
3ème – 8ème chambres réunies
M. Sylvain Monteillet, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats
lecture du vendredi 12 janvier 2018
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. et Mme A…B…ont demandé au tribunal administratif de Melun de juger, en réponse à une question préjudicielle posée par le tribunal d’instance de Meaux qui a sursis à statuer par un jugement du 4 mars 2014, de la légalité de la délibération du conseil municipal de Sablonnières (Seine-et-Marne) du 7 avril 2010 instaurant une redevance d’assainissement collectif. Par un jugement n° 1404806 du 5 octobre 2016, le tribunal administratif de Melun a déclaré que cette délibération était illégale.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 octobre et 8 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Sablonnières demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de M. et Mme B…la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la commune de Sablonnières ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par délibération du 7 avril 2010, le conseil municipal de Sablonnières a institué une redevance d’assainissement collectif composée d’une part fixe et d’une part variable indexée sur la consommation d’eau. M. et Mme B…ont demandé au tribunal d’instance de Meaux d’annuler les titres exécutoires émis par la commune de Sablonnières les 14 avril 2011 et 24 février 2012 au titre de ces redevances pour les années 2010 et 2011. Par jugement du 4 mars 2014, le tribunal d’instance de Meaux a sursis à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se prononce sur la légalité de la délibération du 7 avril 2010. Par un jugement du 5 octobre 2016, contre lequel la commune de Sablonnières se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Melun a déclaré que la délibération du 7 avril 2010 était entachée d’illégalité.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Sablonnières avait opposé devant le tribunal administratif de Melun une fin de non-recevoir tirée de ce que la demande de M. et Mme B…était irrecevable faute d’être motivée. Une telle fin de non-recevoir pouvait utilement être présentée, dès lors qu’en vertu des textes alors applicables, il appartenait à l’une des parties au litige de saisir la juridiction administrative d’une demande posant la question en appréciation de légalité. Dès lors, le tribunal administratif ne pouvait régulièrement faire droit aux conclusions présentées par M. et Mme B…sans avoir au préalable écarté expressément cette fin de non-recevoir. En omettant d’écarter cette fin de non-recevoir, il a, par suite, méconnu son office. La commune de Sablonnières est, dès lors, fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque.
3. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Sablonnières :
4. Aux termes de l’article R. 411-1 du code de justice administrative : » La juridiction est saisie par requête. (…) Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge (…) « . Dans leur mémoire tendant à ce que soit déclarée l’illégalité de la délibération du conseil municipal de Sablonnières du 7 avril 2010, M. et Mme B…se sont expressément référés à leur requête introduite devant la juridiction de proximité de Meaux tendant à contester le bien-fondé des redevances d’assainissement collectif litigieuses, requête qu’ils ont jointe avec diverses pièces visant à étayer leur propos. Ils doivent être regardés, dans ces conditions, comme ayant suffisamment motivé leur demande devant le tribunal administratif. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune doit être écartée.
Sur l’exception de prescription quadriennale :
5. En vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n’appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en appréciation de validité d’un acte administratif, de trancher d’autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l’autorité judiciaire. En tout état de cause, la commune de Sablonnières ne peut ainsi utilement soutenir que l’action de M. et Mme B…contre les titres exécutoires litigieux serait prescrite.
Sur la légalité de la délibération du 7 avril 2010 :
6. Aux termes du II de l’article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales : » Tout service assurant tout ou partie des missions définies à l’article L. 2224-8 est un service public d’assainissement « . Aux termes de l’article L. 2224-8 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : » I.-Les communes sont compétentes en matière d’assainissement des eaux usées. / II.-Les communes assurent le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, la collecte, le transport et l’épuration des eaux usées, ainsi que l’élimination des boues produites (…) « . Aux termes de l’article L. 2224-10 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : » Les communes ou leurs établissements publics de coopération délimitent, après enquête publique : / 1° Les zones d’assainissement collectif où elles sont tenues d’assurer la collecte des eaux usées domestiques et le stockage, l’épuration et le rejet ou la réutilisation de l’ensemble des eaux collectées (…) « . Aux termes de l’article R. 2224-11 du même code : » Les eaux entrant dans un système de collecte des eaux usées doivent, sauf dans le cas de situations inhabituelles, notamment de celles dues à de fortes pluies, être soumises à un traitement avant d’être rejetées dans le milieu naturel, dans les conditions fixées aux articles R. 2224-12 à R. 2224-17 ci-après (…) « . Aux termes de l’article R. 2224-19 du même code : » Tout service public d’assainissement, quel que soit son mode d’exploitation, donne lieu à la perception de redevances d’assainissement établies dans les conditions fixées par les articles R. 2224-19-1 à R. 2224-19-11 « .
7. Il résulte des termes de la délibération du conseil municipal de Sablonnières du 7 avril 2010 qu’aucun réseau d’assainissement collectif n’existait à cette date, dès lors que, par cette délibération, le conseil municipal a décidé de lancer un appel d’offres pour engager la construction d’un tel réseau. Ainsi, lorsque la délibération a instauré la redevance litigieuse, le réseau de collecte de la commune de Sablonnières constituait seulement un réseau de collecte d’eaux pluviales, étant précisé que la seule circonstance que des eaux issues de systèmes d’assainissement non collectifs aient pu, par simple mesure de tolérance, être directement déversées dans le réseau de collecte de la commune de Sablonnières ne suffit pas à regarder celui-ci comme constituant un réseau unitaire, dès lors, notamment, que les eaux usées n’étaient soumises à aucun des traitements prévus par l’article R. 2224-11 du code général des collectivités territoriales avant d’être rejetées dans le milieu naturel.
8. Il résulte de ce qui précède que les habitants de la commune de Sablonnières ne pouvaient être regardés comme des usagers du service public de l’assainissement collectif. Par suite, la délibération litigieuse du conseil municipal de Sablonnières ne pouvait légalement assujettir les habitants de la commune au paiement de la redevance qu’elle a instituée.
Sur les autres conclusions :
9. Les conclusions des requérants tendant au remboursement des honoraires et des frais d’assignation, qui ne sont pas l’objet de la question renvoyée par le tribunal d’instance de Meaux, ne peuvent qu’être rejetées.
10. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Sablonnières au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 5 octobre 2016 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : Il est déclaré que la délibération du 7 avril 2010 par laquelle le conseil municipal de Sablonnières a institué une redevance d’assainissement collectif est illégale.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. et Mme B…est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Sablonnières présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Sablonnières et à M. et Mme A…B….
Copie en sera adressée au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.