Cour Administrative d’Appel de Nancy
N° 10NC01275
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
Mme MONCHAMBERT, président
M. Ivan LUBEN, rapporteur
Mme STEINMETZ-SCHIES, rapporteur public
SELARL CGR LEGAL, avocat
lecture du jeudi 9 juin 2011
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 3 août 2010, complétée par un mémoire en réplique enregistré le 13 mai 2011, présentée pour la société FLOREAL SARL, représentée par son représentant légal, dont le siège est immeuble Le César, 20 place Louis Pradel à Lyon (69001), par Me Elfassi, avocat ; la société FLOREAL SARL demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0800423 en date du 30 avril 2010 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a annulé l’arrêté, en date du 11 janvier 2008, par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a accordé un permis de construire pour cinq éoliennes et un poste de transformation électrique à la société FLOREAL sur le territoire de la commune de Chenières, a mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme globale de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties ;
2° de rejeter les demandes présentées par l’association SOS Campagne et autres et la commune de Chenières ;
3°) de mettre à la charge des requérants le paiement d’une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– le jugement attaqué est irrégulier, la copie du jugement notifiée aux parties ne permettant pas de s’assurer que le Tribunal administratif a correctement synthétisé les prétentions des parties ;
– la demande de première instance était irrecevable, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges ; d’une part, l’association SOS Campagne ne disposait pas d’un intérêt suffisant lui donnant qualité pour demander l’annulation du permis de construire litigieux ; d’autre part, M. et Mme B et M. F ne justifiaient pas d’un intérêt suffisant pour attaquer le permis de construire contesté ;
– contrairement à ce qu’ont jugé les premiers juges, l’enquête publique n’est entachée d’aucune irrégularité, le commissaire enquêteur ayant exprimé les raisons qui ont déterminé le sens de son avis et ayant pu s’approprier les observations du pétitionnaire en réponse à celles consignées par le public ;
Vu le mémoire en observation, enregistré le 16 mars 2011, présenté pour l’association SOS Campagne, pour M. Erwan B, pour Mme Pierre-Frédérique B et pour M. Raphaël F, par la SCP Ricard, Demeure et associés, avocats, qui concluent à titre principal au rejet de la requête comme irrecevable, la société requérante se bornant à reproduire des moyens identiques à ceux développés en première instance et n’invoquant aucun moyen à l’encontre du jugement attaqué, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire au rejet de la requête au motif qu’aucun des moyens invoqués n’est fondé et, en outre, à ce que la société FLOREAL SARL leur verse une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 8 avril 2011, complété par un mémoire de production enregistré le 15 avril 2011, présenté pour la commune de Chenières, par Me Tadic, qui conclut à titre principal au rejet de la requête au motif qu’aucun des moyens invoqués n’est fondé, et à titre subsidiaire à l’annulation de l’arrêté, en date du 11 janvier 2008, par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a accordé un permis de construire pour cinq éoliennes et un poste de transformation électrique à la société FLOREAL sur son territoire, et en outre à ce que l’Etat et la société FLOREAL, pris solidairement, soient condamnés à lui verser la comme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2011, présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, qui conclut au rejet de la requête en s’en rapportant aux mémoires présentés par le préfet de la Meurthe-et-Moselle en première instance ;
Vu le mémoire présenté pour l’association SOS Campagne, pour M. Erwan B, pour Mme Pierre-Frédérique B et pour M. Raphaël F, enregistré le 16 mai 2011, soit postérieurement à la clôture de l’instruction ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 19 mai 2011 :
– le rapport de M. Luben, président,
– les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur public,
– et les observations de Me Gelas, avocat de la société FLOREAL SARL, ainsi que celles de Me Tadic, avocat de la commune de Chenières ;
Sur l’intervention de la commune de Chenières :
Considérant que la commune de Chenières, sur le territoire de laquelle l’implantation des cinq éoliennes objet du permis de construire litigieux est envisagée, a intérêt à l’annulation de l’arrêté autorisant cette implantation ; que son intervention est dès lors recevable ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l’association SOS Campagne, M. et Mme B et M. F ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 741-2 du code de justice administrative : La décision (…) contient le nom des parties, l’analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (…) ;
Considérant qu’il ressort de la minute du jugement attaqué qu’ont été visés et analysés la demande introductive d’instance et les mémoires, présentés pour l’Association SOS Campagne, enregistrés respectivement les 25 février 2008, 14 janvier 2010, 18 février 2010, les mémoires en défense, présentés par le préfet de Meurthe-et-Moselle, enregistrés les 16 avril 2008, 30 décembre 2009 et 31 mars 2010, les mémoires en intervention, présentés pour la commune de Chenières, enregistrés les 29 septembre 2009, 19 novembre 2009 et 23 mars 2010, les mémoires en défense, présentés par la société Floréal, enregistrés les 12 janvier 2010 et 2 avril 2010 ainsi que la lettre en date du 13 janvier 2010, informant les parties, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir était susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office ; que la circonstance que l’expédition du jugement attaqué ne mentionnerait pas l’intégralité des visas est sans incidence sur la régularité dudit jugement ; qu’il s’en suit que le moyen tiré de l’irrégularité du jugement attaqué manque en fait ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 2 des statuts de l’association SOS Campagne : Cette association indépendante a pour but de : protéger l’environnement rural, les espaces naturels et les paysages, de tout projet nuisible au territoire des communes de Cutry, Chenières, Laix, Baslieux et Doncourt-lès-Longuyon, sensibiliser l’opinion publique aux problèmes d’environnement, défendre l’identité culturelle des paysages ainsi que leurs intérêts économiques et sociaux, lutter contre les atteintes qui pourraient être portées à cet environnement et notamment chaque fois qu’elles toucheront au caractère naturel des espaces et des paysages, ainsi qu’aux équilibres biologiques auxquels participent les espèces animales et végétales et prémunir la dégradation des ressources naturelles ; que la décision attaquée a pour objet d’autoriser la construction, sur le territoire de la commune de Chenières, de cinq éoliennes d’une hauteur de 114,8 à 124,8 mètres, pourvues de rotors de 92,5 mètres d’envergure ; qu’ainsi, l’association SOS Campagne justifie, au regard de son objet statutaire et eu égard à l’importance du projet litigieux, d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation du permis autorisant la construction de cinq éoliennes dans le paysage essentiellement rural et agricole de la commune de Chenières et de ses alentours ;
Considérant, en deuxième lieu, que M. et Mme B et de M. F ont produit, en première instance, un plan à l’échelle, avec indication des cotes de niveau, sur lequel figurent les emplacements des cinq éoliennes ainsi que leurs habitations sises lotissement Au Porry, à la sortie du village de Chenières, ainsi qu’un photomontage, dont le caractère erroné allégué n’est pas établi par la société requérante, constitué d’une vue à 140° à partir de la terrasse de M. et Mme B faisant apparaître, outre l’habitation de M. F au premier plan, les cinq éoliennes projetées, parfaitement visibles dans ce paysage rural plat, qui seront éloignées, pour les plus proches, d’environ un kilomètre de leurs habitations ; que, par suite, M. et Mme B et M. F, dont il ressort des pièces du dossier qu’ils résident à cet endroit et qui n’avaient pas à produire un titre juridique relatif à leurs habitations, justifient d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation du permis de construire accordé à la société FLOREAL ;
Sur les conclusions à fin d’annulation du permis de construire contesté :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-10 du code de l’environnement : Le rapport et les conclusions motivées du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête sont rendus publics. Le rapport doit faire état des contre-propositions qui ont été produites durant l’enquête ainsi que des réponses éventuelles du maître d’ouvrage, notamment aux demandes de communication de documents qui lui ont été adressées ; qu’aux termes de l’article R. 123-22 du même code : (…) Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête entend toute personne qu’il lui paraît utile de consulter ainsi que le maître de l’ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l’enquête et examine les observations recueillies. Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête consigne, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l’opération. Le commissaire enquêteur ou le président de la commission d’enquête transmet au préfet le dossier de l’enquête avec le rapport et les conclusions motivées dans un délai d’un mois à compter de la date de clôture de l’enquête ;
Considérant, d’une part, que si le commissaire-enquêteur n’est pas, en principe, tenu de répondre à chacune des observations formulées durant l’enquête publique, il lui appartient en revanche d’analyser lesdites observations et de motiver de façon suffisante son avis ; qu’il ressort des pièces du dossier que le commissaire-enquêteur, en se bornant à plusieurs reprises, dans son rapport, à renvoyer au dossier élaboré par la société pétitionnaire en réponse aux objections émises lors de l’enquête publique, dont il s’est approprié la teneur et qu’il a joint en annexe de son rapport, sans indiquer avec une précision suffisante et de manière personnelle les motifs qui l’avaient conduit à écarter les nombreuses observations, dont certaines étaient très argumentées, qui avaient été formulées au cours de l’enquête publique relative à l’implantation de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de Chenières et qui portaient notamment sur l’impact du projet sur les oiseaux migrateurs, les chiroptères, le paysage, les nuisances sonores et les risques pour la sécurité, n’a pas examiné de manière suffisamment circonstanciée les observations recueillies lors de l’enquête publique ; que, d’autre part, en se limitant à des considérations générales et peu circonstanciées sur les risques liés aux éoliennes dans la partie de son rapport contenant ses conclusions et en procédant à nouveau à un renvoi au dossier élaboré par la société pétitionnaire, le commissaire enquêteur n’a pas assorti son avis favorable à l’opération projetée de conclusions suffisamment motivées ; que, par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont jugé que les dispositions précitées des articles L. 123-10 et R. 123-22 du code de l’environnement avaient été méconnues et ont, pour ce motif, annulé l’arrêté, en date du 11 janvier 2008, par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a accordé un permis de construire cinq éoliennes et un poste de transformation électrique à la société FLOREAL ;
Considérant qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que la société FLOREAL n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement du 30 avril 2010, le Tribunal administratif de Nancy a annulé l’arrêté, en date du 11 janvier 2008, par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a accordé un permis de construire pour cinq éoliennes et un poste de transformation électrique à la société FLOREAL sur le territoire de la commune de Chenières, a mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme globale de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’en revanche, il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société FLOREAL le paiement à l’association SOS Campagne, à M. B, à Mme B et à M. F, pris solidairement, d’une somme de 1 500 euros au titre des frais que ceux-ci ont exposés et non compris dans les dépens ; que la commune de Chenières n’étant pas partie à l’instance, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la partie perdante soit condamnée à lui payer la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention de la commune de Chenières est admise.
Article 2 : La requête de la société FLOREAL SARL est rejetée.
Article 3 : La société FLOREAL SARL versera une somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) à l’association SOS Campagne, à M. B, à Mme B et à M. F, pris solidairement, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l’association SOS Campagne, de M. B, de Mme B, de M. F et la commune de Chenières est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société FLOREAL SARL, à l’association SOS Campagne, à M. Erwan B, à Mme Pierre-Frédérique B, à M. Raphaël F et au ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.
N° 10NC01275
Abstrats : 34-02-01-01-02-02 Expropriation pour cause d’utilité publique. Règles générales de la procédure normale. Enquêtes. Enquête préalable. Commissaire enquêteur. Avis.