Une autorisation d’équipement commercial a été annulée pour en raison d’un risque de concurrence directe.
Cour Administrative d’Appel de Nancy
N° 09NC01868
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
Mme MONCHAMBERT, président
Mme Véronique GHISU-DEPARIS, rapporteur
Mme STEINMETZ-SCHIES, rapporteur public
SCP LESAGE ORAIN PAGE VARIN CAMUS, avocat
lecture du jeudi 20 janvier 2011
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 17 décembre 2009, compétée par un mémoire enregistré le 22 octobre 2010, présentée pour la SOCIETE TINQUEDIS, dont le siège social est situé 43 rue Eugène Ducretet à Mulhouse (68058), par Me Page ;
La SOCIETE TINQUEDIS demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0705996 en date du 17 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé, à la demande de la société Wiyo, la décision en date du 19 octobre 2007 par laquelle la commission départementale d’équipement commercial (CDEC) du Haut-Rhin lui a accordé l’autorisation de créer un supermarché de 2 070 mètres carrés de surface de vente à l’enseigne Super U à Volgelsheim ;
2°) de rejeter la demande de la société Wiyo ;
3°) de mettre à la charge de la société Wiyo le versement de la somme de 6 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, l’acte de désignation par le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’aménagement de l’espace et de développement de son représentant en application de l’article R. 751-2 du code de commerce n’a pas à être publié ;
– par la voie de l’effet dévolutif, tous les autres moyens de la société Wiyo devront être rejetés :
* les membres de la CDEC, qui étaient au demeurant tous présents, ont été régulièrement convoqués ;
* le maire de Colmar était régulièrement représenté ;
* les membres de la CDEC ont respecté les dispositions de l’article R. 751-7 du code de commerce relatif à la déclaration d’intérêts ;
* le dossier de demande d’autorisation est suffisant et, en tout état de cause, les insuffisances, omissions ou erreur ne sont susceptibles de vicier la procédure que si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision ;
* la décision de la CDEC est suffisamment motivée ;
* l’enseigne super U ne se trouverait pas dans la zone de chalandise en situation de position dominante ;
* la densité commerciale dans la zone de chalandise sera, après réalisation du projet, inférieure aux moyennes de référence, ce qui impliquait qu’une autorisation soit délivrée sans que ne soit nécessaire le constat des effets positifs de la future implantation ;
* qu’en tout état de cause, de nombreux effets positifs justifient la décision d’autorisation au regard des objectifs de la loi Royer ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu, enregistré le 3 août 2010, le mémoire en défense présenté pour la société Wiyo, par Me Eckert ;
Elle conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de la SOCIETE TINQUEDIS la somme de 6 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– le moyen retenu par le Tribunal est fondé, l’article R. 751-2 du code de commerce ne pouvant faire obstacle aux règles classiques régissant les délégations ;
– elle reprend tous ses moyens de première instance :
* les membres de la CDEC n’ont pas reçu la convocation et les documents nécessaires huit jours au moins avant la réunion ;
* le maire de la ville de Colmar n’était pas valablement représenté ;
* il ne ressort pas de la décision contestée que le préfet ait procédé aux vérifications nécessaires s’agissant des intérêts détenus par les membres de la commission ;
* le dossier de demande d’autorisation comprend une zone de chalandise erronée (zone isochrone insuffisante) ;
* la décision en litige qui autorise une enseigne de supermarché d’une surface de 2 070m² est de nature à provoquer un gaspillage des équipements commerciaux et l’écrasement de la petite entreprise, elle ne répond à aucune demande et génèrera à terme des suppressions d’emplois ; elle porte ainsi atteinte à l’équilibre entre les différentes formes de commerce ;
* la réalisation de l’opération aura pour effet de placer l’enseigne super U en position dominante ;
* la décision en litige n’est pas suffisamment motivée et contient une contradiction de motifs ;
* l’étude d’impact est lacunaire quant aux flux de circulation généré par le projet ;
Vu la mise en demeure, en date du 16 novembre 2010, adressée par la présidente de la 1ère chambre de la Cour au ministre, secrétariat d’état chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services de produire ses observations dans un délai de 15 jours sur le fondement des dispositions de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, à laquelle il n’a pas été répondu ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 16 décembre 2010 :
– le rapport de Mme Ghisu-Deparis, premier conseiller,
– les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur public,
– et les observations de Me Cazcarra, avocat de la SOCIETE TINQUEDIS, ainsi que celles de Me Richard, avocat de la société Wiyo ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2122-25 du code général des collectivités territoriales, rendu applicable aux établissements publics de coopération intercommunale par l’article L. 5211-2 du même code : Le maire procède à la désignation des membres du conseil municipal pour siéger au sein d’organismes extérieurs dans les cas et conditions prévus par les dispositions du présent code et des textes régissant ces organismes. La fixation par les dispositions précitées de la durée des fonctions assignées à ces membres ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse être procédé à tout moment, et pour le reste de cette durée, à leur remplacement par une nouvelle désignation opérée dans les mêmes formes ; qu’aux termes de L.751-2 l’article du code du commerce dans sa version alors en vigueur: I. – La commission départementale d’équipement commercial est présidée par le préfet. / II. – Dans les départements autres que Paris, elle est composée : / 1° Des trois élus suivants : / a) Le maire de la commune d’implantation ; / b) Le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’aménagement de l’espace et de développement dont est membre la commune d’implantation ou, à défaut, le conseiller général du canton d’implantation ;(…) ; qu’aux termes de l’article R.751-2 du même code: Lorsqu’un projet est envisagé sur le territoire de plusieurs communes ou de plusieurs cantons, sont considérés comme la commune ou le canton d’implantation celle ou celui dont le territoire accueille la plus grande partie des surfaces de vente demandées pour le ou les établissements projetés. / Lorsque la commune d’implantation fait partie d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’aménagement de l’espace et de développement, cet établissement est représenté par le président ou par un élu local qu’il désigne. Pour les établissements publics regroupant plus de trois communes, son représentant ne peut pas être un élu d’une des communes appelées à être représentées à la commission départementale d’équipement commercial.(…) ; que la décision par laquelle le président de l’établissement public de coopération intercommunal désigne de manière ponctuelle, en application de l’article R. 751-2 du code de commerce, un élu local pour le représenter au sein de la commission départementale d’équipement commerciale, qui ne présente pas de caractère réglementaire, n’a pas à faire l’objet d’une publication ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE TINQUEDIS est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision, en date du 19 octobre 2007, par laquelle la commission départementale d’équipement commercial du Haut-Rhin a accordé à la SOCIETE TINQUEDIS l’autorisation de créer un supermarché de 2 070 mètres carrés de surface de vente à l’enseigne Super U à Volgelsheim au motif de l’irrégularité de la composition de la commission par suite de l’absence de publication de la désignation du représentant du syndicat mixte pour le plan d’aménagement Colmar-Rhin-Vosges ;
Considérant, qu’il appartient à la Cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les moyens soulevés tant devant le Tribunal administratif que devant la Cour par la société Wiyo ;
Sur le moyen tiré de la rupture de l’équilibre entre les différentes formes de commerce :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 720-1 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : Les implantations, extensions, transferts d’activités existantes et changements de secteur d’activité d’entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu’au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. Ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l’évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d’achat du consommateur et à l’amélioration des conditions de travail des salariés ; qu’aux termes de l’article L. 720-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : I. Une commission départementale d’équipement commercial (…) statue en prenant en considération : 1° l’offre et la demande globale pour chaque secteur d’activité dans la zone de chalandise concernée ; l’impact global du projet sur les flux de voitures particulières et de véhicules de livraison ; la qualité de la desserte en transport public ou avec des modes alternatifs ; les capacités d’accueil pour le chargement et le déchargement des marchandises ; 2° la densité d’équipement en moyennes et grandes surfaces dans cette zone ; 3°l’effet potentiel du projet sur l’appareil commercial et artisanal de cette zone et des agglomérations concernées, ainsi que sur l’équilibre souhaitable entre les différentes formes de commerce ; 4° l’impact éventuel du projet en termes d’emplois salariés et non salariés ; 5° les conditions d’exercice de la concurrence au sein du commerce et de l’artisanat… ;
Considérant que pour l’application des dispositions combinées des articles L. 720-1 à L. 720-3 du code de commerce, il appartient aux commissions d’équipement commercial, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier si un projet soumis à autorisation est de nature à compromettre dans la zone de chalandise intéressée, l’équilibre recherché par le législateur entre les différentes formes de commerce et, dans l’affirmative, de rechercher si cet inconvénient est compensé par les effets positifs que le projet peut présenter au regard notamment de l’emploi, de l’aménagement du territoire, de la concurrence, de la modernisation des équipements commerciaux et, plus généralement, de la satisfaction des besoins des consommateurs ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la réalisation du projet d’implantation de l’enseigne Super U aura pour effet d’accroître la densité des magasins de même nature dans la zone de chalandise à un niveau supérieur à la moyenne nationale ; que la commune d’accueil, de 2 300 habitants, comprend déjà, à quelques mètres du projet, un supermarché de taille identique ; que la concurrence directe qu’impliquera l’installation d’une nouvelle enseigne pourra à terme entrainer la fermeture d’un des deux supermarchés, le risque étant explicitement invoqué aux termes mêmes de la décision contestée ; que dans ces conditions, les avantages du projet retenus par la commission relatifs à la lutte contre l’évasion commerciale et à la création d’emplois ne sont pas suffisants, eu égard à l’offre déjà existante, pour compenser les déséquilibres qu’engendrera le projet entre les différentes formes de commerce ; qu’il résulte de ce qui précède qu’en délivrant à la SOCIETE TINQUEDIS l’autorisation demandée, la commission départementale d’équipement commercial a fait une inexacte application des principes fixés par le législateur ; que la société Wiyo est, dès lors, fondée à demander l’annulation de la décision attaquée ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE TINQUEDIS n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision en date du 19 octobre 2007 par laquelle la commission départementale d’équipement commercial du Haut-Rhin lui a accordé l’autorisation de créer un supermarché de 2 070 mètres carrés de surface de vente à l’enseigne Super U à Volgelsheim ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Wiyo qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société requérante la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante la somme de 1 500 € à verser à la société Wiyo au titre des mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SOCIETE TINQUEDIS est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE TINQUEDIS versera à la société Wiyo la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE TINQUEDIS, au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et à la société Wiyo