CAA de NANTES
N° 14NT00943
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. LENOIR, président
M. Jérôme FRANCFORT, rapporteur
M. DURUP de BALEINE, rapporteur public
SELARL P & A, avocat
lecture du vendredi 13 novembre 2015
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A…a demandé au tribunal administratif de Rennes d’annuler l’arrêté du 26 juillet 2010 par lequel le préfet du Morbihan a autorisé l’extension de la station d’épuration de Kerran, située dans la commune de Saint-Philibert (Morbihan) au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement.
Par un jugement n° 1100383 du 7 février 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 avril 2014 et le 9 janvier 2015, MmeA…, représentée par MeC…, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 7 février 2014 ;
2°) d’annuler l’arrêté préfectoral du 26 juillet 2010 ;
3°) subsidiairement d’annuler cet arrêté en tant qu’il fixe le point de rejet des eaux épurées dans l’étier du Roc’h Du et dire que ce point de rejet devra être fixé en façade maritime, au large de la pointe de Kerpenhir ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 5 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– sur la régularité du jugement attaqué, le tribunal a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 126-1 du code de l’environnement par une argumentation que l’auteur de la décision attaquée n’avait pas invoquée ;
– sur le bien-fondé du jugement attaqué :
. l’arrêté méconnait l’article L. 126-1 du code de l’environnement lequel, combiné avec l’article R. 123-1 du même code, supposait, s’agissant d’une station d’épuration, une déclaration de projet dans le délai maximal d’un an de la clôture de l’enquête publique avant toute autorisation de travaux ;
. l’arrêté méconnait les dispositions du a) de l’article R. 214-6 III du code de l’environnement, qui font obligation de faire figurer au dossier de demande la description de la zone desservie par le système de collecte et les conditions de raccordement des immeubles desservis, ainsi que les déversements d’eaux usées existants ;
. l’arrêté méconnait les dispositions du d) de l’article R. 214-6 III du code de l’environnement, qui font obligation de faire figurer au dossier de demande la localisation précise du point de rejet de la station d’épuration ; en l’espèce le rejet dans une propriété privée est de nature à rendre irréaliste le calendrier des travaux présenté par le demandeur ; à aucun moment l’exploitant n’indique dans quelles conditions et délais il envisage d’obtenir l’autorisation de créer un point de rejet dans un étier privé, ni quelles seront les conséquences financières de ce choix ;
. en violation des mêmes dispositions les caractéristiques des eaux réceptrices et des eaux usées épurées – soit l’étier du Roc’h Du – n’ont pas été valablement précisées dès lors que les indications sur la qualité des milieux récepteurs concernent en réalité la rivière d’Auray, située à environ 450 mètres en aval du projet et qui présente des caractéristiques différentes en termes de volumes d’eau et de courant ; il n’a pas été tenu compte de zones situées en amont du projet qui pourraient dans certaines conditions de marée devenir des milieux récepteurs ;
. l’autorisation en litige méconnaît l’article 10 de l’arrêté du 22 juin 2007 relatif à la collecte, au transport et au traitement des eaux usées des agglomérations d’assainissement, lequel doit être considéré comme applicable à l’ensemble du domaine maritime, y compris privé, en autorisant un rejet dans l’étier du Roc’h Du au-dessous de la laisse de basse mer ;
. en délivrant une autorisation sur un dossier de demande établi plus de 3 ans auparavant et après une enquête publique ancienne de plus de deux années l’autorisation litigieuse a méconnu les dispositions de l’article R. 214-12 du code de l’environnement ;
. compte tenu des effets notables prévisibles de l’exploitation sur le territoire de la commune de Baden, l’arrêté annonçant l’enquête publique aurait dû être affiché dans cette commune en application de l’article R. 214-8 du code de l’environnement ;
. l’administration a induit le public en erreur sur la portée de l’enquête et méconnu l’article R. 214-8 du code de l’environnement en présentant l’enquête publique comme portant sur l’extension d’une station d’épuration qui, en réalité, n’avait jamais été autorisée ;
. le dossier soumis à enquête était insuffisant, comme le révèle la teneur de l’avis émis le 30 juillet 2008 par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET);
. l’autorisation concerne un projet modifié et complété après enquête publique ;
. les travaux autorisent des rejets sur une propriété privée dont le propriétaire n’a jamais donné son autorisation ; ces travaux sont donc totalement irréalisables sauf à commettre une voie de fait réprimée pénalement ;
. l’arrêté est entaché d’erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’il autorise le rejet des effluents dans l’étier du Roc’h Du alors qu’un rejet en mer est préférable et que la rivière d’Auray est sujette à eutrophisation ;
. l’arrêté du 26 juillet 2010 méconnaît les principes de précaution et d’action préventive figurant à l’article L. 110-1 du code de l’environnement ;
. l’étude d’impact est insuffisante pour prendre en compte la superficie du bassin versant afférant à la rivière d’Auray soit 374 km², et non une superficie de 12,8 km² qui est celle de l’étang du Roc’h Du, et par suite pour prendre en compte le véritable milieu récepteur situé à son aval, soit l’étier du Roc’h Du ; l’étude d’impact n’a pas appréhendé les conséquences des rejets d’eaux douces dans l’étier alors qu’il s’agit d’un facteur majeur de destruction des écosystèmes et de la biodiversité et que la surveillance du paramètre de salinité est imposé par la directive cadre eau 2000/60 CEE ; la question de la température respective du canal et des eaux déversées n’a pas davantage été examinée ;
. la charte de l’environnement et la directive cadre sur l’eau ont été méconnues, compte tenu de la pollution induite à proximité immédiate du point de rejet, comme le démontre le classement envisagé des coquillages, impropres à la consommation directe, à cet endroit, alors que la propriété du Roc’h Du est une ancienne huitrière.
Par des mémoires enregistrés les 7 et 28 novembre 2014, l’association UMIVEM (Union pour la Mise en Valeur Esthétique du Morbihan), représentée par MeB…, est intervenue au soutien de la requête présentée par MmeA…, conclut à l’annulation de l’arrêté du 26 juillet 2010 du préfet du Morbihan et à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la demande aurait nécessairement dû porter sur l’ensemble des installations existantes de la station d’épuration de Kerran ;
– la demande ne comportait pas l’avis du propriétaire de l’étier du Roc’h Du où était pourtant prévu le rejet des effluents, en violation du 7° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement ;
– l’arrêté ministériel du 22 juin 2007 a été méconnu en ce qui concerne la fixation des valeurs limites de rejet ;
– l’article 1er de la charte de l’environnement, qui assure à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, a été méconnu ;
– l’article L 110-1 du code de l’environnement a été méconnu.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 et 28 novembre 2014 et le 30 janvier 2015, la communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique, venant aux droits du syndicat mixte de la région d’Auray-Belz-Quiberon, représentée par le cabinet Coudray, conclut au rejet de l’intervention de l’association UMIVEM, au rejet de la requête de Mme A…et à la mise à la charge de cette dernière d’une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– l’intervention de l’UMIVEM est irrecevable pour défaut d’intérêt à agir et subsidiairement infondée ;
– aucun des moyens de la requête de Mme A…n’est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2014 le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie conclut au rejet de la requête de MmeA….
Il soutient que :
– que la requête de Mme A…n’est recevable qu’à l’encontre de la disposition de l’arrêté, divisible, fixant le point de rejet des eaux épurées dans l’étier du Roc’h Du, qui lui appartient ;
– qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Par ordonnance du 30 janvier 2015, la clôture d’instruction a été fixée au 16 février 2015 à 12 h.
Un mémoire présenté pour Mme A…a été enregistré le 16 février 2015.
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;
– l’arrêté du 22 juin 2007 relatif à la collecte, au transport et au traitement des eaux usées des agglomérations d’assainissement ainsi qu’à la surveillance de leur fonctionnement et de leur efficacité, et aux dispositifs d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique supérieure à 1,2 kg/j de DBO5 ;
– la charte de l’environnement ;
– le code de l’environnement ;
– le code de la santé publique
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
– les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,
– et les observations de MeD…, représentant MmeA…, et celles de MeF…, représentant la communauté de communes d’Auray Quiberon Terre Atlantique.
1. Considérant que par arrêté du 26 juillet 2010 le préfet du Morbihan a autorisé le syndicat mixte de la région d’Auray-Belz-Quiberon à construire et mettre en fonctionnement la station d’épuration de Kerran dans la commune de Saint-Philibert (Morbihan) ainsi qu’à rejeter les eaux épurées dans le milieu naturel, au début du bras de rivière intitulé étier du « Roc’h Du « , affluent de la rivière d’Auray, conformément au dossier présenté par ce syndicat, aux droits duquel vient la communauté de communes d’Auray Quiberon Terre Atlantique ; que Mme A…relève appel du jugement en date du 7 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande, qui tendait à l’annulation de cette autorisation ;
Sur l’intervention de l’Union pour la Mise en Valeur Esthétique du Morbihan :
2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de ses statuts, l’Union pour la Mise en Valeur Esthétique du Morbihan (UMIVEM) s’est fixée pour objet » la défense et la mise en valeur du patrimoine breton, et plus spécialement morbihannais, notamment le patrimoine artistique, architectural, culturel et naturel » ; que, compte tenu des dommages susceptibles d’être causés à l’environnement par les rejets d’une station d’épuration et de la délimitation de son champ d’action géographique, cette association justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions en annulation formées par MmeA… ; que son intervention, nouvelle en appel, est par suite recevable ;
3. Considérant, en second lieu, que la requête présentée par Mme A…comporte des moyens tenant tant à la régularité qu’au bien-fondé du jugement attaqué ; que, dès lors, la communauté de communes d’Auray Quiberon Terre Atlantique n’est pas fondée à soutenir que les moyens invoqués par l’UMIVEM seraient irrecevables pour se rattacher à une cause juridique distincte de ceux développés par MmeA… ;
Sur les conclusions à fins d’annulation :
4. Considérant, en premier lieu, que Mme A…est propriétaire de l’étier du Roc’h Du, dans lequel seront déversées les eaux épurées, une fois leur traitement effectué au sein de la station d’épuration autorisée par l’arrêté contesté ; qu’en raison de l’incidence prévisible de ces rejets sur cette partie de sa propriété, elle justifie d’un intérêt pour agir à l’encontre de l’ensemble de l’arrêté d’autorisation du 26 juillet 2010 et non seulement, comme le soutient le préfet du Morbihan, en tant seulement que cette décision fixe la localisation du point de rejet des eaux épurées ;
5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes des dispositions du III de l’article R. 214-6 du code de l’environnement : » Lorsqu’il s’agit de stations d’épuration d’une agglomération d’assainissement ou de dispositifs d’assainissement non collectif, la demande comprend en outre (…) 2° Une description des modalités de traitement des eaux collectées indiquant (…) d) La localisation de la station d’épuration ou du dispositif d’assainissement non collectif et du point de rejet, et les caractéristiques des eaux réceptrices des eaux usées épurées » ;
6. Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’étude d’impact jointe au dossier de demande par le maître d’ouvrage de la station d’épuration projetée ne comportait pas la description des caractéristiques des eaux réceptrices des rejets de la future station d’épuration, lesquelles eaux sont constituées, non par celles de la rivière d’Auray, mais par celles du bras de rivière dénommé » étier du Roc’h Du « , le point de rejet des effluents se situant à plus de 400 mètres en amont du confluent de cet étier avec la rivière d’Auray ; que, par ailleurs, la largeur et la profondeur de l’étier, son environnement immédiat ainsi que les conditions de marée et l’incidence éventuelle des échanges avec l’étang situé en amont immédiat du point de rejet, qui sont susceptibles d’influer sur la circulation des eaux et, par suite, sur l’impact des rejets, ne sont aucunement décrits ; que, dès lors, le dossier de demande de la station d’épuration de Kerran ne peut être regardé comme décrivant, au sens des dispositions précitées du d) du 2° du III de l’article R. 214-6 du code de l’environnement, les caractéristiques des eaux réceptrices ; qu’en conséquence, l’autorisation critiquée est intervenue au vu d’une demande incomplète ; qu’en raison de cette irrégularité, de nature à nuire à l’information complète du public et à le priver ainsi d’une garantie, l’autorisation en litige doit, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, être annulée ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que M. A…est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeA…, qui n’a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, les sommes que demande la communauté de communes d’Auray Quiberon Terre Atlantique au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 2 500 euros à MmeA… et de 1 000 euros à l’association UMIVEM au même titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’intervention de l’association UMIVEM est admise.
Article 2 : Le jugement du 7 février 2014 du tribunal administratif de Rennes et l’arrêté du 26 juillet 2010 par lequel le préfet du Morbihan a autorisé l’extension de la station d’épuration de Kerran dans la commune de Saint-Philibert ainsi que le rejet dans le milieu naturel des eaux épurées sont annulés.
Article 3 : Les conclusions présentées par la communauté de communes d’Auray Quiberon Terre Atlantique au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : L’Etat versera la somme de 2 500 euros à Mme A…et la somme de 1 000 euros à l’Union pour la Mise en Valeur Esthétique du Morbihan au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E…A…, au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à la communauté de communes d’Auray Quiberon Terre Atlantique et à l’Union pour la Mise en Valeur Esthétique du Morbihan.
Délibéré après l’audience du 16 octobre 2015, à laquelle siégeaient :
– M. Lenoir, président de chambre,
– M. Francfort, président-assesseur,
– Mme Piltant, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 novembre 2015.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.