Conseil d’État
N° 369835
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
M. Christophe Pourreau, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats
lecture du mercredi 22 juillet 2015
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
1) Les 27 et 28 avril 2009, Mmes B… D…et C…A…ont demandé au tribunal administratif de Nîmes d’annuler la délibération du 27 février 2009 du conseil municipal de la commune de Grandvals (Lozère) reconduisant les modalités de jouissance des terres à vocation agricole ou pastorale propriétés de la section de commune de La Brugère fixées par une délibération du 19 avril 2008.
Le 15 août 2009, elles ont demandé au même tribunal administratif d’annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Grandvals sur leur demande tendant à ce qu’il saisisse le conseil municipal d’un projet d’abrogation de la délibération du conseil municipal du 19 avril 2008.
Le 13 avril 2010, elles ont demandé au même tribunal administratif d’annuler la délibération du conseil municipal du 13 février 2010 reconduisant les modalités de jouissance des terres à vocation agricole ou pastorale propriétés de la section de commune de La Brugère fixées par les délibérations des 19 avril 2008 et 27 février 2009.
Par un jugement n° 0901227, 0901228, 0902269, 1001012 du 24 mars 2011, le tribunal administratif de Nîmes, après les avoir jointes, a fait droit aux demandes de Mmes D… et A…et annulé les délibérations des 27 février 2009 et 13 février 2010 ainsi que le rejet implicite de la demande d’abrogation de la délibération du 27 février 2009.
Par un arrêt n° 11MA02031 du 2 mai 2013, la cour administrative d’appel de Marseille, statuant sur l’appel formé par la commune de Grandvals, a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté les demandes de Mmes D… etA….
2) Le 9 juillet 2010, Mmes D… et A…ont demandé au tribunal administratif de Nîmes d’annuler la délibération du 7 mai 2010 par laquelle le conseil municipal de la commune de Grandvals a refusé de leur attribuer des terres à vocation agricole ou pastorale propriétés de la section de commune de La Brugère.
Par un jugement n° 1001711,1001712 du 1er juin 2011, le tribunal administratif de Nîmes, après les avoir jointes, a rejeté les demandes de Mmes D… etA….
Par un arrêt n° 11MA03114, 11MA03241 du 30 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Marseille, statuant sur l’appel formé par Mmes D… etA…, a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté leurs demandes.
Procédure devant le Conseil d’Etat
1) Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés sous le n° 369835 les 2 juillet et 2 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mmes D… et A…demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 2 mai 2013 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la commune de Grandvals ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Grandvals une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2) Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés sous le n° 372647 les 30 septembre et 30 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mmes D… et A…demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 30 juillet 2013 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leurs requêtes ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Grandvals une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de Mme D…et de Mme A…et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de la commune de Grandvals ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une délibération du 19 avril 2008, le conseil municipal de la commune de Grandvals (Lozère) a fixé les modalités de jouissance des biens sectionaux en prévoyant, notamment, que les terres à vocation agricole et pastorale propriétés d’une section de commune seront attribuées aux agriculteurs ayant leur domicile réel et fixe et le siège de leur exploitation sur le territoire de la section de commune et que le reliquat de terres sera constitué en réserve foncière sur laquelle les agriculteurs qui en font la demande pourront faire séjourner des animaux en estive ; que, par deux délibérations des 27 février 2009 et 13 février 2010, il a reconduit les modalités prévues dans la délibération du 19 avril 2008 et fixé de nouvelles dates pour le dépôt des demandes annuelles d’estives ; que, sous le n° 369835, Mmes B… D…et C…A…se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 2 mai 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du 24 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Nîmes avait annulé les délibérations des 27 février 2009 et 13 février 2010 ainsi que le rejet implicite de la demande d’abrogation de la délibération du 27 février 2009 et rejeté leurs demandes d’annulation de ces décisions ; que, sous le n° 372647, Mmes D… et A…se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 30 juillet 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 1er juin 2011, a rejeté leurs demandes d’annulation de la délibération du 7 mai 2010 par laquelle le conseil municipal de Grandvals a confirmé le refus de leur attribuer des terres à vocation agricole et pastorale de la section de commune de La Brugère ;
2. Considérant que ces pourvois présentent à juger des questions semblables ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de l’arrêt du 2 mai 2013 :
3. Considérant, en premier lieu, que les moyens tirés de ce que l’arrêt attaqué ne comporte pas les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d’audience et de ce que la cour administrative d’appel aurait omis de répondre au moyen tiré de ce que le conseil municipal ne pouvait, sans erreur de droit, attribuer la jouissance des terres à vocation agricole ou pastorale de la section sous une forme autre que le bail rural, la convention pluriannuelle de pâturage ou la convention de mise à disposition d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural manquent en fait ;
4. Considérant, en second lieu, que, si Mmes D… et A…se prévalent de ce qu’elles n’ont ni reçu communication, ni été informées de la possibilité de prendre connaissance des douze pièces annexées au mémoire en réplique présenté par la commune le 2 avril 2013, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour rejeter leurs demandes, et notamment pour écarter le moyen tiré de ce que les conseillers municipaux n’auraient pas été régulièrement convoqués à la séance du conseil municipal du 19 avril 2008, la cour administrative d’appel ne s’est pas fondée sur des éléments figurant pour la première fois dans les pièces annexées au mémoire en réplique de la commune ; que le moyen tiré de ce que l’arrêt aurait été rendu au terme d’une procédure irrégulière doit, par suite, être écarté ;
Sur le bien-fondé des arrêts attaqués :
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2411-7 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : » La commission syndicale est appelée à donner son avis sur les modalités de jouissance des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature, sur l’emploi des revenus en espèces des autres biens et, en cas d’aliénation de biens de la section, sur l’emploi du produit de cette vente au profit de la section. (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 2411-10 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : » Les membres de la section ont, dans les conditions résultant soit des décisions des autorités municipales, soit des usages locaux, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature. / Les terres à vocation agricole ou pastorale propriétés de la section sont attribuées par bail rural ou par convention pluriannuelle de pâturage conclue dans les conditions prévues à l’article L. 481-1 du code rural ou par convention de mise à disposition d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural au profit des exploitants agricoles ayant un domicile réel et fixe, ainsi que le siège d’exploitation sur la section. L’autorité municipale peut attribuer, le cas échéant, le reliquat de ces biens au profit d’exploitants agricoles sur la section ayant un bâtiment d’exploitation hébergeant pendant la période hivernale leurs animaux sur la section, ou à défaut au profit de personnes exploitant des biens sur le territoire de la section et résidant sur le territoire de la commune ; à titre subsidiaire, elle peut attribuer ce reliquat au profit de personnes exploitant seulement des biens sur le territoire de la section ou, à défaut, au profit des exploitants ayant un bâtiment d’exploitation sur le territoire de la commune. / (…) Chaque fois que possible, il sera constitué une réserve foncière destinée à permettre ou faciliter de nouvelles installations agricoles. (…) » ;
6. Considérant, en premier lieu, que les terres à vocation agricole ou pastorale, qui sont attribuées par bail rural, par convention pluriannuelle de pâturage ou par convention de mise à disposition d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural en vue de leur exploitation, ne comptent pas parmi les biens d’une section de commune dont les fruits sont perçus en nature par ses membres ; que, par suite, en jugeant qu’en application de l’article L. 2411-7 du code général des collectivités territoriales, les délibérations des 19 avril 2008, 27 février 2009 et 13 février 2010 ne pouvaient intervenir qu’après avis de la commission syndicale de la section de commune de La Brugère, la cour administrative d’appel de Marseille a méconnu le champ d’application de ces dispositions ; que, toutefois, le motif tiré de ce que l’attribution des terres à vocation agricole ou pastorale d’une section de commune ne compte pas parmi les questions sur lesquelles la commission syndicale est appelée à donner son avis, qui a été opposé devant les juges du fond et dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par les arrêts attaqués et tiré de ce que la commune avait été dans l’impossibilité de consulter la commission faute de constitution de cette dernière, dont il justifie les dispositifs ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte des dispositions de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales citées au point 5 que le conseil municipal, d’une part, n’est pas tenu d’attribuer des terres à vocation agricole ou pastorale propriétés d’une section de commune à des exploitants agricoles autres que les exploitants agricoles ayant un domicile réel et fixe ainsi que le siège de leur exploitation sur le territoire de la section et, d’autre part, peut constituer les terres à vocation agricole ou pastorale qui n’ont été attribuées à aucun exploitant agricole en réserve foncière destinée à faciliter de nouvelles installations agricoles ; que ni ces dispositions, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n’interdisent au conseil municipal d’autoriser, sur les terres constituées en réserve foncière, le séjour d’animaux en estive ; que, par suite, en jugeant que le conseil municipal de Grandvals a pu réserver l’attribution des terres à vocation agricole ou pastorale propriétés de la section de commune de La Brugère aux exploitants agricoles ayant un domicile réel et fixe et le siège de leur exploitation sur le territoire de la section et autoriser la mise en estive d’animaux sur le reliquat des terres non attribuées et constituées en réserve foncière, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ;
8. Considérant, en troisième lieu, que, par le jugement du 5 février 2010, le tribunal administratif de Nîmes a annulé une première délibération du conseil municipal du 26 avril 2008 en tant qu’elle portait sur l’attribution des biens de la section de commune de La Brugère et enjoint à la commune de statuer à nouveau sur l’attribution des biens de cette section de commune ; que ce jugement n’impliquait pas que le conseil municipal statuât par une seule délibération sur l’attribution de l’ensemble des terres à vocation agricole et pastorale de la section de commune ; que, par suite, en jugeant que la délibération du 7 mai 2010, par laquelle le conseil municipal de Grandvals a confirmé le refus d’attribuer des terres à vocation agricole ou pastorale à Mmes D… etA…, n’a pas méconnu l’autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 février 2010, la cour administrative d’appel n’a ni commis d’erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier ;
9. Considérant, en quatrième lieu, que la condition de domicile réel et fixe prévue au deuxième alinéa de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales doit être entendue comme une condition de résidence principale ; que la cour a pu, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, juger que la maison dont disposent Mmes D… et A…à La Brugère ne constituait pas leur résidence principale et en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que les requérantes ne remplissaient pas la condition de domicile réel et fixe sur le territoire de la section de commune posée par l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales ;
10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mmes D… et A…ne sont pas fondées à demander l’annulation des arrêts attaqués ;
11. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mmes D… et A…la somme globale de 3 000 euros, à verser à la commune de Grandvals, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Grandvals, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de Mmes D… et A…sont rejetés.
Article 2 : Mmes D… et A…verseront à la commune de Grandvals une somme globale de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mmes B… D…et C…A…et à la commune de Grandvals.