Numérotation :
Numéro d’arrêt : 13BX02141
Numéro NOR : CETATEXT000029176839
Vu la décision n° 360901, 361242 en date du 10 juillet 2013 par laquelle le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé l’arrêt n° 10BX01160 du 15 mai 1012 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé les articles 2 et 3 du jugement n° 0500685 du 5 février 2010 du tribunal administratif de Toulouse condamnant l’Etat à lui verser la somme de 45 046,15 euros en réparation des désordres affectant les travaux d’enrochement de la rive du Ger et mettant à sa charge les frais d’expertise à concurrence de 2 038,40 euros et, d’autre part, rejeté ses conclusions d’appel incident relatives aux préjudices liés à l’absence de remise en état du système de vannes et du canal desservant son moulin ;
Vu le recours, enregistré le 17 mai 2010, présenté par le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche qui demande à la cour ;
1°) d’annuler le jugement n° 0500685 du 5 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat à verser à M. A…la somme de 45 046,15 euros en réparation des préjudices subis par ce dernier du fait de l’effondrement partiel de l’enrochement de la rive du Ger sur sa propriété ;
2°) de rejeter la demande de M. A…;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 5 juin 2014 :
-le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, premier conseiller ;
-les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
1. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la suite de plusieurs épisodes de crues de la rivière Ger, cours d’eau non domanial situé dans le département de la Haute-Garonne, au cours des années 1992, 1993 et 1994, des travaux de curage et de confortement des berges par enrochement, reconnus d’intérêt général, ont été réalisés, en 1995, par le syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) de Saint-Gaudens-Montréjeau-Aspet en qualité de maître d’ouvrage, et par la direction départementale de l’agriculture et de la forêt de la Haute-Garonne, en qualité de maître d’oeuvre ; que des travaux d’enrochement de la berge du Ger étaient notamment prévus sur la propriété de M. A…qui, en sa qualité de propriétaire riverain, a contribué à leur financement ; qu’à la suite de l’effondrement partiel de l’enrochement mis en place sur sa propriété, et de l’absence de réalisation des travaux prévus pour la reconstruction des vannes et du canal alimentant son moulin, M. A…a saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une demande tendant à la réparation, par l’Etat et le syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) de Saint-Gaudens-Montréjeau-Aspet, des conséquences dommageables des vices d’exécution des travaux d’enrochement réalisés en 1995 ; qu’à la suite de la signature d’un protocole d’accord avec le syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM), M. A…s’est désisté de ses conclusions dirigées contre ce dernier, mais a maintenu sa demande dirigée contre l’Etat ; que le ministre de l’agriculture relève appel du jugement du 5 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat à verser à M. A…la somme de 45 046,15 euros en réparation des préjudices subis par ce dernier du fait de l’effondrement partiel de l’enrochement de la rive du Ger à proximité de sa propriété ; que, par la voie de l’appel incident, M. A…demande la réformation de ce jugement en tant qu’il a rejeté ses conclusions aux fins d’indemnisation du préjudice relatif à l’inexécution des travaux sur les vannes et le canal d’alimentation du moulin ;
Sur l’appel du ministre :
2. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expert désigné par ordonnance du 11 mars 2003 du juge des référés du tribunal de grande instance de Pau, que les travaux ont consisté en la superposition, sur le lit de la rivière, de blocs rocheux sur une hauteur de 2,50 m à 3,50 m, et que » Des matériaux graveleux probablement prélevés dans le lit du Ger ont été mis en place dans les intervalles entre blocs et le nu du terrassement de la berge pour créer un bourrage et un blocage des blocs les uns par rapport aux autres » ; que l’enrochement, qui fait ainsi corps avec le terrain et a pour objet de consolider les berges du Ger, doit être regardé comme un ouvrage au sens des principes dont s’inspire l’article 1792 du code civil ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que la qualité de maître d’ouvrage, bénéficiant de la garantie décennale des constructeurs en application des principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, est reconnue à la personne qui détient, à la date où le juge statue, les prérogatives attachées à la maîtrise d’ouvrage alors même qu’elle n’a pas été liée aux constructeurs par un contrat de louage d’ouvrage ; que M. A…est, en qualité de riverain d’un cours d’eau non domanial, propriétaire de l’enrochement édifié sur son terrain ; que, par suite, il a acquis, après remise de l’ouvrage, la qualité de maître d’ouvrage ;
4. Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport de l’expert, que les désordres affectant l’enrochement ont pour origine la circonstance que les » blocs ont été posés directement sur le lit de la rivière composé d’alluvions gravelo-sableuses qui sont entraînées par le courant d’eau créant des vides de plus en plus importants sous ces blocs qui sont destabilisés, provoquant leur déplacement et également la chute des blocs qui sont placés au dessus » ; que ces désordres, qui compromettent la solidité de l’ouvrage, sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs ;
5. Considérant, en quatrième lieu, qu’il résulte du rapport d’expertise que pour éviter la ruine inéluctable à terme de l’ouvrage réalisé en 1995 il est nécessaire de procéder à sa reconstruction complète avec réalisation d’une bêche d’ancrage en un point et d’une assise en un autre point avec mise en place d’enrochements en partie bétonnés ; que, par suite, le ministre n’est pas fondé à soutenir que le préjudice doit être limité au coût de la réfection des parties éboulées de l’enrochement ;
6. Considérant, enfin, que la circonstance que M. A…n’a pas réalisé les travaux de réfection de l’ouvrage n’est pas de nature à faire perdre au préjudice subi par le maître d’ouvrage son caractère certain ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné l’Etat à indemniser M. A… du préjudice subi du fait de l’effondrement partiel de l’enrochement réalisé sur sa propriété ;
Sur l’appel incident :
En ce qui concerne le préjudice causé par l’effondrement partiel de l’enrochement :
8. Considérant que l’expert a évalué le préjudice subi par M.A… à la somme de 87 308 euros TTC, et que le SIVOM de Saint-Gaudens-Montréjeau-Aspet en application d’un accord transactionnel a versé à l’intéressé la moitié de cette somme ; que c’est par suite à bon droit que le tribunal administratif a condamné l’Etat à payer à M. A…la somme de 45 046,15 euros ;
9. Considérant que le coût des travaux nécessaires pour faire cesser les désordres affectant un ouvrage doit être évalué à la date à laquelle, la cause et l’étendue du dommage étant connus, il pouvait être procédé aux travaux ; que le coût des travaux nécessaires a été évalué par l’expert dans son rapport déposé le 18 novembre 2003 ; que M. A…n’établit ni même n’allègue avoir été à cette date dans l’impossibilité technique ou financière de procéder aux travaux ; que, par suite, ses conclusions tendant à ce que la somme de 43.654 euros soit indexée sur l’indice BT01 du coût de la construction à compter du 11 mars 2008 ne peuvent qu’être rejetées ;
En ce qui concerne le préjudice causé par l’inexécution des travaux sur les vannes et le canal d’alimentation :
10. Considérant que, dans l’appel principal, le ministre conteste la condamnation de l’Etat à réparer les dommages causés à M. A…par l’effondrement de l’enrochement sur le fondement de la garantie décennale ; que les conclusions d’appel incident de M.A…, présentées après l’expiration du délai d’appel, et relatives au préjudice consécutif à l’inexécution des travaux sur les vannes et le canal d’alimentation du moulin, qui concernent des désordres distincts et sont fondées sur une cause juridique différente de la garantie décennale, soulèvent un litige distinct et sont, par suite, irrecevables ;
En ce qui concerne les frais d’expertise :
11. Considérant que c’est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a mis la charge des frais de l’expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 076,81 euros, pour moitié à la charge de l’Etat ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat, sur le fondement de ces dispositions, le versement à M.A… de la somme de 1 500 euros;
DECIDE
Article 1er : Le recours du ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche est rejeté.
Article 2 : les conclusions d’appel incident de M. A…sont rejetées.
Article 3 : L’Etat versera à M. A…la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.