Cour Administrative d’Appel de Nancy
N° 13NC01531
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre – formation à 3
M. LAPOUZADE, président
M. Olivier TREAND, rapporteur
M. WIERNASZ, rapporteur public
STAEDELIN MULLER, avocat
lecture du lundi 24 mars 2014
Vu la requête, enregistrée le 5 août 2013 au greffe de la Cour sous le n° 13NC01531, complétée par mémoire enregistré le 19 décembre 2013, présentée pour M. F… B…demeurant au…, par Me E…et MeA…, avocats ;
M. B…demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1004081 du 18 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a, à la demande de l’EARL Enderlin Marcel, annulé l’arrêté du 12 avril 2010 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a accordé un permis de construire une maison individuelle sur le territoire de la commune de Moernach ;
2°) de rejeter la demande de l’EARL Enderlin Marcel formée devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l’EARL Enderlin Marcel la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
– la requête d’appel est recevable ; elle n’est dépourvue ni de conclusions, ni de moyens d’appel ; il existe une critique du jugement ;
– le permis de construire qui lui a été délivré ne méconnaissait pas les dispositions de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime ; le tribunal a fait à tort référence aux dispositions de l’arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement ; trouvaient à s’appliquer les dispositions de l’article 153.4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin qui interdit de construire un immeuble occupé par des tiers à moins de 50 mètres d’un élevage bovin ; dans le cas d’espèce, le projet de construction de M. B…était situé à plus de 50 mètres du bâtiment classé au titre de la législation sur les installations classées ; il ne fallait pas tenir compte du bâtiment situé du même côté de la rue des Bouleaux qui n’était pas classé ;
– le permis de construire litigieux ne méconnaissait pas les dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme dès lors qu’il ne contrevenait pas aux dispositions combinées des articles L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et 153.4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin ;
– le permis devait être regardé comme légal sans qu’il soit besoin de recourir, comme l’a fait le préfet du Haut-Rhin, aux dispositions dérogatoires du 4ème alinéa de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, qui au demeurant trouvaient également à s’appliquer, plusieurs autorisations d’urbanisme ayant été délivrées à proximité des bâtiments de l’EARL Enderlin ; la Cour pourra opérer une substitution de base légale pour justifier la légalité du permis accordé ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré le 10 octobre 2013, le mémoire en défense, complété par un mémoire enregistré le 10 février 2014, présentés pour l’EARL Enderlin Marcel, par MeC…, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– le requête d’appel est irrecevable ; contrairement aux dispositions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, elle est dépourvue de moyen d’appel ; aucune critique du jugement n’est formulée ;
– le permis de construire devait être annulé dès lors qu’il méconnaissait les dispositions combinées des articles L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et 153.4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin ; l’exploitation agricole de l’EARL Enderlin est une installation classée ; or, l’arrêté délivrant le permis de construire indique que le projet de construction se trouve à 65 mètres soit en-deçà de la distance d’inconstructibilité de 100 mètres ; par ailleurs, les dispositions dérogatoires du 4ème alinéa de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime ne trouvaient pas à s’appliquer, aucune spécificité locale ne pouvant justifier qu’il soit dérogé à la règle d’inconstructibilité susmentionnée ;
– le préfet du Haut-Rhin a méconnu les dispositions de l’article R. 111-2 du code l’urbanisme ; il a commis une erreur manifeste d’appréciation de l’impact du projet autorisé sur la salubrité publique ;
Vu, enregistré le 10 février 2014, le courrier présenté par la ministre de l’égalité des territoires et du logement ;
Elle informe la Cour qu’elle n’a aucune observation à formuler ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu l’arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 février 2014 :
– le rapport de M. Tréand, premier conseiller,
– les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
– et les observations de Me D…pour M.B…, et de Me C…pour l’EARL Enderlin Marcel ;
Vu, enregistrée le 3 mars 2014, la note en délibéré présentée pour M.B…, par Me A… ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par l’EARL Enderlin Marcel :
1. Considérant que la requête d’appel de M.B…, enregistrée le 5 août 2013, comporte une critique du jugement attaqué, l’appelant contestant que les permis de construire délivrés dans le passé sur le territoire de la commune de Moernach ne constituent pas des » spécificités locales » au sens des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime ; que, par suite, sa requête n’est pas dépourvue de moyen d’appel ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la l’ERAL Enderlin Marcel doit être écartée ;
Sur la légalité du permis de construire délivré le 12 avril 2010 :
2. Considérant que M B…demande l’annulation du jugement du 18 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé, à la demande de l’EARL Enderlin Marcel, l’arrêté du préfet du Haut-Rhin du 12 avril 2010 lui accordant un permis de construire une maison individuelle sur le territoire de la commune de Moernach ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme : » Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier » ; que, pour l’application de ces dispositions, il appartient au juge d’appel, saisi d’un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l’annulation d’un acte intervenu en matière d’urbanisme en retenant plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé de tous les moyens d’annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d’apprécier si l’un au moins de ces moyens justifie la solution d’annulation ; que, dans ce cas, le juge d’appel n’a pas à examiner les autres moyens de première instance ; que dans le cas où il estime en revanche qu’aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n’est fondé, le juge d’appel, saisi par l’effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens ; qu’il lui appartient de les écarter si aucun d’entre eux n’est fondé et, à l’inverse, de se prononcer, si un ou plusieurs d’entre eux lui paraissent fondés, sur l’ensemble de ceux qu’il estime de nature à confirmer, par d’autres motifs, l’annulation prononcée par les premiers juges ;
4. Considérant que pour annuler le permis de construire délivré à M. B…le 12 avril 2010, le tribunal administratif de Strasbourg s’est fondé sur la méconnaissance par le préfet du Haut-Rhin des dispositions de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et sur celle des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme ;
5. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime : » Lorsque que des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l’implantation ou l’extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d’éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l’exception des extensions de constructions existantes. (…) Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, une distance d’éloignement inférieure peut être autorisée par l’autorité qui délivre le permis de construire, après avis de la chambre d’agriculture, pour tenir compte des spécificités locales. Une telle dérogation n’est pas possible dans les secteurs où des règles spécifiques ont été fixées en application du deuxième alinéa. (…) » ; qu’aux termes de l’article 1 de l’arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement : » Les installations classées pour la protection de l’environnement soumises à déclaration sous les rubriques 2101 (élevages de bovins), 2111 (élevages de volailles et/ou de gibier à plumes) et 2102 (élevages de porcs) de la nomenclature sont soumises aux dispositions figurant à l’annexe I (..) » ; qu’aux termes de cette annexe I : » (…) 2. Implantation. – Aménagement, 2.1. Règles d’implantation des bâtiments, 2.1.1. Règles générales : » Les bâtiments d’élevage et leurs annexes sont implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers (à l’exception des logements occupés par des personnels de l’installation et des gîtes ruraux dont l’exploitant a la jouissance) ou des locaux habituellement occupés par des tiers, des stades ou des terrains de camping agréés ( à l’exception des terrains de camping à la ferme ) ainsi que des zones destinées à l’habitation par des documents d’urbanisme opposables aux tiers » ; qu’aux termes de l’article 153.4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin » Règles générales d’implantation » : » Sans préjudice de l’application des documents d’urbanisme existant dans la commune ou de cahiers des charges de lotissements, l’implantation des bâtiments renfermant des animaux doit respecter les règles suivantes : (…) – les autres élevages, à l’exception des élevages de type familial et ceux de volailles et de lapins, ne peuvent être implantés à moins de 50 mètres des immeubles occupés ou habituellement occupés par des tiers (…) ; » ;
6. Considérant que l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibiers à plumes et de porcs soumis à autorisation au titre du livre V du code de l’environnement a été pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, en particulier des articles L. 511-1 et L. 512-10 du code de l’environnement ; que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, la vérification du respect des prescriptions contenues dans cet arrêté ne s’impose pas à l’autorité délivrant des autorisations d’urbanisme ; qu’en revanche, il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et de l’article 153.4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin que, dans le département du Haut-Rhin, un permis de construire ne peut être accordé pour la construction d’un bâtiment à usage d’habitation à moins de 50 mètres des élevages visés par le règlement sanitaire départemental ;
7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment d’un courrier du directeur de la chambre d’agriculture du Haut-Rhin en date du 31 août 2010, qu’à la date de délivrance du permis de construire contesté, le bâtiment appartenant à l’EARL Enderlin Marcel situé à moins de 50 mètres et du même côté de la rue des Bouleaux que la construction projeté par M.B…, au sud-est de cette dernière, n’était pas un bâtiment renfermant des animaux ; qu’il n’est pas contesté que les autres bâtiments de l’exploitation agricole abritant les bovins étaient situés à plus de 50 mètres du projet de construction autorisée ; que le permis accordé à M. B…était donc conforme aux dispositions combinées du premier aliéna de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et de l’article 153.4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin, seules applicables en l’espèce ;
8. Considérant que lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l’excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait du être prononcée ; qu’en l’espèce, en admettant même que le permis délivré par le préfet du Haut-Rhin le 12 avril 2010 ne puisse être fondé sur les dispositions dérogatoires précitées du quatrième alinéa de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, M. B…est fondé à soutenir que le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, que le tribunal a considéré à tort comme fondé, devait être écarté ;
9. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations » ; que ces dispositions étaient, pour le département du Haut-Rhin, précisées par les dispositions précitées de l’article 153-4 du règlement sanitaire départemental du Haut-Rhin ; qu’ainsi, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, dès lors que le projet de construction de M. B…ne méconnaissait pas lesdites dispositions, l’arrêté du préfet du Haut-Rhin du 12 avril 2010, qui n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme ;
10. Considérant toutefois qu’il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner l’autre moyen soulevé par l’EARL Enderlin Marcel devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
11. Considérant que l’EARL Enderlin Marcel soutenait que le préfet du Haut-Rhin avait affirmé dans le rejet en date du 22 juillet 2010 de son recours gracieux qu’il n’avait tenu compte, pour apprécier la légalité de la demande de permis qui lui était soumise, que de la maison d’habitation et non du garage attenant ; que cette circonstance, à la supposer avérée, n’est pas de nature à remettre en cause la légalité du permis délivré dès lors qu’il est constant que ledit garage est situé à plus de 50 mètres d’un bâtiment abritant des animaux ;
12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B…est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l’arrêté du 12 avril 2010 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a accordé un permis de construire une maison individuelle sur le territoire de la commune de Moernach ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y pas lieu à cette condamnation » ;
14. Considérant, d’une part, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’EURL Enderlin Marcel à payer à M. B…la somme de 1 500 euros au titre des frais qu’il a exposés au cours de la présente instance ;
15. Considérant, d’autre part, que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.B…, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l’EURL Enderlin Marcel au titre des frais qu’elle a exposés pour se défendre ;
D É C I D E
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 18 juin 2013 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par l’EURL Enderlin Marcel devant le tribunal administratif de Strasbourg sont rejetées.
Article 3 : L’EURL Enderlin Marcel versera à M. B…la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l’EURL Enderlin Marcel tendant à la condamnation de M. B…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F…B…, à l’EURL Enderlin Marcel et à la ministre de l’égalité des territoires et du logement.